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renfermait, et sans le coup de botte donné par l’un de mes grenadiers à celui qui devait mettre le feu au tonneau, j’aurais infailliblement péri avec toute ma suite. Depuis cette époque, tous ceux qui m’entouraient avaient constamment l’attention de ne pas me laisser approcher de trop près et faisaient prendre par la police toutes les mesures convenables, particulièrement si je devais aller en public. C’est de cette manière que je me suis garanti des surprises de mes ennemis.

« De tous les assassins, continua-t-il, les fanatiques sont les plus dangereux : on ne se garantit que très difficilement de la férocité de ces hommes. Un homme qui a l’intention, la volonté de se sacrifier, est toujours maître de la vie d’un autre homme, et quand il est fanatique et surtout fanatique religieux, il porte ses coups avec plus d’assurance. L’histoire fourmille de pareilles actions : César, Henri III, Henri IV, Gustave, Kléber, etc. etc. furent au nombre de leurs victimes. Fanatiques religieux, fanatiques politiques, tous sont à craindre. Les complices de ces tigres, si toutefois ils en ont, car ces grands criminels n’ont souvent de complices qu’eux-mêmes, sont toujours enveloppés d’un voile impénétrable qui les dérobe aux recherches les plus actives, les plus exactes. Il est bon de paraître populaire, mais il faut agir avec circonspection ; les malheurs arrivent assez tôt sans qu’on aille les chercher. »

Quand l’Empereur apprit que le prince Eugène avait fait mettre en vente le musée de la Malmaison, il en fut outré. « Est-il possible qu’Eugène, mon fils adoptif, aille se salir en faisant de l’argent des objets précieux que renferme ce château ? Ne l’ai-je pas fait assez riche pour qu’il se dispense de faire une pareille vilenie ? Malheureux intérêt ! Toutes ces belles choses, qui, pour la plupart, ont été acquises au prix du sang français, devaient-elles avoir une pareille destination ? Il eût été digne, il eût été noble à Eugène d’en faire hommage à la France, et le musée de Paris eût été quelque peu indemnisé des pertes qu’il a faites en 1815. A cet acte, on eût reconnu un cœur français et un des miens. Il ne lui reste plus maintenant que d’en faire autant de la Malmaison. Cette habitation pour lui doit être sacrée et doit lui être chère à plus d’un titre ; il doit la transmettre, à ses descendants ; mais, non ! il semble que ceux qui m’appartiennent et ceux qui m’ont entouré se donnent la main pour se confondre dans la foule la plus abjecte. On dirait qu’ils prennent à tâche