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des mansardes qui étaient au-dessus des chambres de l’Empereur. L’emplacement était bien pour loger une personne, mais beaucoup trop petit pour en loger deux. Quand je fus avec ma femme, l’Empereur dit à M. de Montholon : « il serait convenable d’agrandir le logement d’Ali, pour qu’il pût se retourner. Donnez-lui la chambre de Cypriani, continua-t-il ; faites-la lui arranger ; il ne serait pas humain de les laisser dans un pareil galetas. » M. de Montholon fit faire une fenêtre qui avait vue sur le bosquet de l’Empereur et fit couper une panne pour en permettre l’accès. Les cloisons, couvertes de papier, transformèrent un vilain grenier en une pièce fort gentille et des plus agréables. On avait sous les yeux une partie des jardins de l’Empereur, la pelouse, le bois de Longwood, le rocher noir et la mer à l’horizon.


XVII. — PROPOS DE L’EMPEREUR

L’Empereur avait l’habitude, quand le temps était beau, d’aller se promener dans ses jardins immédiatement après son lever et après et avant son diner. S’il apercevait les enfants du Grand-Maréchal, il les appelait. Les enfants, qui étaient accoutumés à recevoir toujours quelque chose de lui, se tenaient à peu de distance et en vue et, dès qu’ils s’entendaient appeler, l’espace qui les séparait de l’Empereur était bientôt franchi. Son plaisir était de les questionner sur ce qu’ils faisaient et ce qu’ils avaient à faire : « Sais-tu bien ta leçon, » disait-il à l’un ; et à l’autre : « Répète-moi donc ta table de multiplication. » S’il était content de leurs réponses, il se faisait apporter des bonbons et les leur distribuait. De temps à autre, il les faisait déjeuner avec lui ; il jouissait quand il trouvait l’occasion de leur faire des niches ; leurs petites querelles le divertissaient. Il aimait beaucoup à s’en voir entouré. Il était charmé de leur innocence, et de la franchise avec laquelle ils exprimaient leurs pensées, leurs sentiments, leurs volontés. « Chez eux, disait-il, aucun détour ; ils disent naturellement ce qui leur vient à la tête. Si la gourmandise les presse, sans plus attendre, ils demandent. Ah ! le petit ventre commande toujours. Heureux âge que celui de l’enfance ! continuait-il, c’est bien l’âge d’or de la vie de l’homme. » Ses malheurs eussent été bien adoucis, il les eût supportés avec plus de résignation encore,