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coupable auprès de lui ; il l’éloignait pour ne plus jamais le revoir ; il l’oubliait entièrement.

Lors de la maladie intestinale qu’eut Marchand, le docteur Werling, médecin de l’artillerie anglaise, qui était à Longwood par ordre du gouverneur, depuis le départ de MM. O’Meara et Stokoe, lui donna des soins. L’Empereur, sachant combien les mansardes ou, pour mieux dire, les greniers qui étaient au-dessus de ses appartements étaient exposés à l’ardeur du soleil, particulièrement la chambre du malade qui était la plus chaude, eut la bonté de faire dresser un lit dans la salle à manger, pour que Marchand fût plus au frais et plus à l’aise. Chaque matin, l’Empereur ne manquait jamais de demander de ses nouvelles, ainsi que dans le courant de la journée. Lorsqu’il allait se promener dans ses jardins, s’il venait à passer dans la salle à manger, il s’approchait du lit du malade et lui disait : « Eh bien ! Mamzelle Marchand, la princesse vient-elle vous voir ? envoie-t-elle savoir de vos nouvelles ? Prends garde : elle pourrait bien te faire des infidélités. » (Marchand avait pour maîtresse une nommée Esther qui habitait Jamestown. Elle venait habituellement à Longwood tous les huit jours avec son petit garçon que l’on nommait Jemmi). L’Empereur, sorti de la maison, demandait à celui qui le suivait, ce que pensait Werling, quels étaient les médicaments qu’il ordonnait. Apprenant que l’on donnait du mercure à Marchand, il dit : « Ces diables de médecins anglais traitent leurs malades comme on traite des chevaux. Enfin ! que Werling le rende à la santé, c’est tout ce que je désire. » Marchand en eut pour une vingtaine de jours à être cloué sur son lit et ensuite il se rétablit promptement.

C’était à bord du Northumberland que, pour la première fois, j’ai vu M. Werling. Ce médecin, qui était un homme distingué, parlait très facilement et très purement le français. Il était admis chez Mme Bertrand, à qui, je crois, il donnait ses soins. Peu de temps après l’arrivée d’Antommarchi, il partit de l’île et depuis je n’ai plus entendu parler de lui.

Le départ du docteur O’ Meara avait été précédé de celui du général Gourgaud, et fut suivi, après un certain nombre de mois, de celui de Mme de Montholon et de ses enfants. Des personnes de service, Cypriani était mort en février 1818 et, depuis, Lepage et Gentilini étaient retournés, l’un en France et l’autre à l’Ile d’Elbe. Le premier fut remplacé par un cuisinier français qui,