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on devait s’attendre que, vers les une ou deux heures, il sonnerait, demanderait de la lumière et se mettrait à travailler. Parfois, à cette heure-là, il commandait un bain qu’il prenait ou ne prenait pas ou qu’il ne prenait qu’au jour. Quand, après avoir travaillé, il voulait se recoucher, il avait souvent la complaisance d’éteindre lui-même son flambeau pour ne pas déranger le valet de chambre.

Si des nuits se passaient bien, combien d’autres, et en grand nombre, se passaient mal ! Quand il rentrait un peu tard de la promenade et qu’il y avait attrapé de l’humidité, le plus souvent il avait le cerveau pris ; on était presque assuré de passer une nuit blanche, s’il se levait après le premier sommeil. Alors il éternuait et, après les éternuements, venait une toux qui s’augmentait de plus en plus et ne cessait qu’avec peine. Il prenait comme calmant du thé de feuilles d’oranger, avec une cuillerée de sirop de capillaire ou autre et buvait ce thé jusqu’à ce que les quintes se fussent un peu apaisées. Il toussait tellement fort qu’on l’entendait de toutes les parties de la maison. Pendant une ou deux heures que durait la crise, il ne cessait de tousser. Enfin il avait la poitrine si fatiguée des efforts qu’il avait faits, qu’il était contraint de se recoucher et, moitié dormant, moitié veillant, il gagnait le jour. Si quelquefois le rhume n’était que passager, quelquefois aussi il durait plusieurs jours ; mais dans ce cas-ci, il ne sortait plus de sa chambre, et mangeait fort peu : une soupe à la Reine, un peu de thé, ou un ou deux œufs lui suffisait. Quand il était dans cet état de malaise, à peine permettait-il qu’on ouvrit la porte pour entrer chez lui ou en sortir : il ne pouvait souffrir le moindre air.

Pendant ces nuits de toux, le valet de chambre de service était fort gêné. Comme il n’y avait de feu nulle part, il fallait qu’on en fit dans la chambre de l’Empereur avec du bois presque vert, et aussi devait-on avoir la précaution d’avoir une certaine quantité de broussailles sèches ou de copeaux, pour favoriser la combustion ; et c’est sur ce feu qu’on mettait chauffer l’eau nécessaire pour le thé que demandait l’Empereur. L’Empereur aimait mieux que tout ce tripotage se fit dans sa chambre, sous ses yeux, que d’être fait à l’office, afin qu’on ne dérangeât personne de son service extérieur.

Combien de fois m’est-il arrivé, la nuit, de passer de longues heures auprès du lit de l’Empereur et dans l’obscurité la plus