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trop magnifique d’entrer ainsi de plain-pied dans tous les sanctuaires de la pensée… C’est le temps, ne l’oublions pas, qui fait le chef-d’œuvre. Il faut qu’à leur esprit, se mêle l’esprit d’une génération qui, les fréquentant, les expliquant, s’imprègne de leur vie, et leur communique la sienne propre. On s’étonnera sans doute dans quinze ans, que la partition de l’Africaine ait pu paraître obscure à bien des critiques… Au reste plus l’œuvre est magistrale, moins elle échappe à cette destinée… La science du rythme et des combinaisons enharmoniques, Spohr et Mendelssohn l’ont eue à l’égal de Meyerbeer ; l’instinct suprême des sonorités de l’orchestre, assure à l’auteur de Tannhäuser son meilleur titre à la renommée… » Il terminait ainsi : « Si c’est la décadence, les musiciens de l’avenir réagiront contre ce prétendu vacarme symphonique, en revenant à la musette des aïeux, et je souhaite à leur auditoire bien du plaisir. Si c’est au contraire le progrès, comme j’aime à le croire, il est permis de se faire dès aujourd’hui une assez belle idée des générations qui nous succéderont, car ce ne seront point assurément des hommes ordinaires, mais de fiers titans ceux qui, ayant pris comme point de départ en musique soit la neuvième symphonie de Beethoven, soit la partition de l’Africaine, trouveront moyen de mettre entre ce point de départ et le but, l’espace parcouru par Beethoven et Meyerbeer dans leur carrière[1]. »

Cet article, Henri Blaze de Bury le signa Lagenevais comme il faisait quelquefois et il écrivit à sa femme peu de temps après : « Ce travail sur l’Africaine, tout signé qu’il soit de Lagenevais, a remué tout Paris. Tu rirais bien si tu savais quelle origine on prête à ce pseudonyme ! On raconte que ce nom cache une insolence à l’endroit de tous les griffonnements, et que ce Lagenevais signifie tout simplement « là je ne vais, » c’est-à-dire : « Allez-y vous autres, tas de pleutres et d’imbéciles, mais moi je me trouve trop grand seigneur pour me mêler à la cohue, et je signe : Là je ne vais ! » Du diable si j’avais pensé à cette interprétation, mais puisque d’autres l’ont trouvée, je l’estime fort drôle, et m’en amuse[2]. »

Cette année 1865, on l’a vu, Mme Blaze de Bury la passa encore en partie à Vienne ; tous les salons lui étaient ouverts, et à côté de sa vie de plénipotentiaire et d’écrivain, elle menait une

  1. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1865.
  2. Inédite.