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mienne, — plus tristement, mais d’une tristesse voulue, — sur la petite impasse lugubrement close dont l’herbe verdit les pavés.

Le soir après le dîner, en fez naturellement, nous allons sur la grande place de Méhémet Fatih, centre de tous ces quartiers musulmans, et là, devant la mosquée merveilleuse, nous nous asseyons sous les arbres du traditionnel café turc de Mustapha, nous mêlant aux quelques centaines de rêveurs à turban qui fument des narguilhés en parlant à peine. Autour de cette place de Méhémet Fatih, Stamboul, à cette époque, est partout en grande féerie de Ramazan ; les minarets ont tous leurs couronnes de feu et soutiennent en l’air, au moyen de cordes jetées de l’un à l’autre, de saintes inscriptions faites d’innombrables petites veilleuses.

Vers dix heures, long trajet encore pour regagner notre logis par les rues désertes. Dans ces vieilles rues, endormies malgré le Ramazan, on entend de tous côtés, sur les pavés qui résonnent, le heurt des bâtons ferrés des veilleurs de nuit, — le bruit classique du vieux Stamboul. Pendant ces chaudes nuits d’été, lorsque je ne peux dormir, je relève souvent le grillage d’une de mes fenêtres, aux vitres toujours ouvertes, pour regarder la petite ruelle mystérieuse, sous les étoiles. Dans l’ombre se promène d’un pas velouté le chaouch qui me garde contre les incendiaires bulgares.

A la pointe de l’aube, nous arrive le chant d’un muezzin, du haut du minaret en ruine de la petite mosquée qui nous surplombe. On ne chantait plus là depuis des années, mais les Turcs, pour me faire plaisir, envoient maintenant chaque nuit, dans ce minaret abandonné, un muezzin différent, choisi parmi ceux à la voix la plus belle et claire.


Vendredi, 29 août.

Ce soir, pour célébrer la grande nuit sainte du Ramazan, nous avons été invités à souper chez les Derviches Tourneurs, dont le couvent est situé hors des murs de Stamboul, au milieu de l’immense et silencieux désert des morts. A Constantinople, il existe d’autres couvents de Tourneurs plus accessibles que celui-ci, il en existe même en plein Péra, où les étrangers sont admis ; mais ici n’entre pas qui veut, et il faut avoir des intelligences dans la place.