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Mais Mme Blaze de Bury ne fut jamais une maîtresse de maison casanière ; on ne pouvait la trouver chez elle à toute heure du jour, et souvent elle sacrifiait les rendez-vous accordés aux amis dans un élan affectueux, à d’autres rendez-vous politiques, qui l’attiraient au dehors, et l’intéressaient davantage. Son mari fut plus sédentaire ; d’ailleurs sa fille, qu’il adorait, le retenait chez lui, alors qu’Arthur Dudley courait les routes. C’est l’époque où Henri Blaze déjeunait avec Jules Janin et Berlioz « aux Petits Moulins rouges, 17, avenue d’Antin, aux Champs-Elysées. » Meyerbeer, qui habitait 2, rue Montaigne, venait les rejoindre.

Victor Cousin, comme les autres amis, subit l’influence entraînante de Mme Henri Blaze ; il écrivait à cette sirène : « Savez-vous, chère dame, que l’autre jour le charme de votre conversation m’a retenu jusqu’à oublier l’heure, et les prescriptions de M. Andral ? » Après un article publié dans la Revue en octobre 1857 : Une promenade philosophique en Allemagne, il adressa une longue lettre à Mme Blaze de Bury. Celle-ci, avisée, l’avait évidemment complimenté ; Cousin n’est plus alors l’ « étourdi de génie » dont parle Sainte-Beuve, c’est un vieux monsieur assez malade, qui craint de souffrir de la pierre ; le ton de ses lettres est bien bénisseur. Si Joseph Delorme a pu dire de lui jadis : « L’allure ordinaire de Cousin est celle d’un vainqueur : Veni, vidi, vici… Il monte continuellement au Capitole[1] ; » son allure maintenant est plutôt celle du « lion devenu vieux. »

« Je suis bien touché de la bonne impression qu’a faite sur vous le petit article de la Revue. Puisse-t-il faire la même impression sur d’autres âmes, de la même famille que la vôtre ! C’est bien sincèrement mon dernier, mon unique objet. C’est désormais d’améliorer un peu mon caractère, et à faire quelque bien moral à ma faiblesse, avant de paraître devant Dieu, ou plutôt afin de vivre et de mourir en harmonie avec le Dieu que je vois, et que je sens partout, et qui ne me manquera pas plus dans la mort, que dans la vie.

« Ce peu de lignes a fort irrité le parti athée, mais croyez-vous que le clergé ait senti le secours que j’apportais à la cause chrétienne ? Pas du tout, et à l’heure qu’il est, je n’en ai pas

  1. Sainte-Beuve, Cahiers.