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impérial, qui surveillait la maison des Blaze de Bury, y envoyait ses policiers pour saisir les correspondances compromettantes, la maîtresse de maison, avisée, laissait ouvrir les armoires avec sérénité. N’avait-elle pas mis à l’abri ses papiers, soit à l’ambassade d’Angleterre, soit à l’étranger ? Les policiers revenaient bredouilles.

Comment s’accorda cette ambitieuse avec sa belle-sœur Christine Blaze ? Mal. Mme François Buloz vit le mariage d’un mauvais œil ; elle fut quelque peu jalouse aussi de l’influence que Rose Stuart prit sur son frère Henri ; et puis, les allures indépendantes de sa femme, son orgueil, son audace, déplurent à la douce Mme F. Buloz. « Elle ne vient jamais ici, écrit-elle à Mme Combe sa sœur ; les gens qu’elle y rencontre ne sont pas assez high life pour elle ; les bonnes femmes qui viennent ici le samedi soir, ne satisfont pas ses appétits de grandeur. Nous tricotons au coin du feu, pendant que Buloz fait le whist avec le père Babinet, et deux ou trois habitués. » Il faut ajouter que Mme François Buloz fut certainement suffoquée par l’impétuosité de sa belle-sœur. Quitter ses enfants ! voyager, laisser là son mari, « son foyer, » pour raisons politiques ou autres, une femme ! elle ne peut l’admettre. Elle parlait de tout ceci à cœur ouvert avec sa sœur Rosalie, aussi traditionaliste qu’elle-même, et en outre, provinciale. Cette dernière, pour le coup, n’en revenait pas. « cette femme est sans mesure, lui écrivait Mme François Buloz, quoique douée d’un esprit vaste. »

En 1855, F. Buloz refusa un article de sa belle-sœur sur lord Palmerston, « qu’elle exécutait, et en quels termes ! Sur l’autel de lord Elgin, le plus grand diplomate des temps passés et à venir. » L’autorité était déjà en humeur contre la Revue ; on eût craint, en faisant passer cet article audacieux, d’être « averti. » — « Lorsque cette princesse vint pour corriger son œuvre, on lui dit qu’elle ne pouvait pas paraître… » Philosophiquement, Mme François Buloz prend son parti de l’aventure. « Quand on fait des lettres, il faut s’attendre aux déboires, inséparables de ce genre de commerce[1]. »

  1. 24 avril 1855, inédite, Mme F. Buloz à Mme Rosalie Combe. Cette lettre de Mme F. Buloz, écrite au moment des préparatifs de l’Exposition, est assez curieuse. » On inaugurera le 1er , et le lendemain on fermera les portes jusqu’au 1er juin. Il y a déjà beaucoup d’étrangers ici, qui auront un cruel pied de nez. Je voudrais, au reste, que cette exposition fût loin. Nous ne pourrons bientôt plus vivre ici, les denrées sont hors de prix, nous payons notre viande, par faveur spéciale, 0,80 centimes ; et on nous promet de la mettre un de ces jours à 0,85. Un pot-au-feu me coûte actuellement 4 francs. Le titre de vieilles pommes de terre coûte 0,60 centimes, le beurre 1 fr. 80. Enfin, c’est odieux, et nous ne sommes pas même au commencement. »