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la présidence de Napoléon Bonaparte, M. de Tocqueville pria notre jeune diplomate de revenir à la carrière. Blaze haïssait le bonapartisme, il refusa avec indignation : « Vous pouvez bien être là où je suis ? » dit Tocqueville, conciliant. Ce ne fut pas l’avis de Blaze, qui entra immédiatement après le coup d’État dans l’opposition. Bientôt sa maison en devint un des centres actifs, et sur la liste trouvée par M. de Kératry à la préfecture de police, en 1870, « les deux noms de M. et Mme Henri Blaze de Bury étaient inscrits pour la déportation d’urgence[1]. » Ce qui m’étonne, connaissant actuellement le foyer d’intrigue qu’était devenue la maison de la rue de la Chaise[2], c’est que le gouvernement de Napoléon III ait tant attendu, pour coffrer M. et Mme Blaze de Bury.


SES CONTEMPORAINS

Henri Blaze, contemporain de Musset et de Vigny, vécut assez tard pour connaître certains hommes de ce temps : Alexandre Dumas fils, Labiche, Brunetière même. Sa correspondance s’étend sur une durée d’un demi-siècle. Elle nous initie à ses antipathies, à ses admirations, à l’ingéniosité de son esprit, à son activité. Malheureusement, la nervosité d’Henri Blaze fut extrême, et entravait des projets magnifiques ; prendre un parti l’accablait d’ennui, et lorsqu’il s’agissait de se décider à voyager, par exemple, il lui arriva souvent de se décourager avant d’avoir pris son billet, et de ne se déplacer qu’en imagination. Sous ses dehors brillants se cachait souvent une grande mélancolie, surtout à la fin de sa vie. Il sentit, sans doute, qu’il n’occupait pas la place qu’il aurait pu occuper ; et comment ne fut-il pas de l’Académie française ? Il s’y présenta en 1870, mais se retira devant la candidature d’Émile Ollivier ; puis la guerre vint, on oublia cet excellent homme de lettres.

Pour en revenir à la jeunesse d’Henri Blaze, il faut constater qu’Alfred de Musset, alors, n’éprouva pour lui que de l’antipathie. À son tour, Blaze ne manifesta au poète des Nuits qu’aigreur et malice. Pourquoi ? Jalousie de poète sans doute, Blaze lui opposa parfois même Arvers (on l’apprend avec

  1. F. Sarcey, La République française, 11 avril 1888.
  2. Blaze de Bury habita quelques années, 9, rue de la Chaise, de 1860 à 67 environ.