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rectifia encore quelques dates ; donc, Henri Blaze se laissait emporter par sa fantaisie, qui était vive. Il tint certainement de son père Castil, son brio, sa conversation étincelante, son abondance lyrique, cet amour du paradoxe et de la controverse ; mais chez le vieux cigalier, tout est rondeur, bonhomie, bouffonnerie souvent ; il y a, dans la nature du musicien, tel côté « opéra buffo » qui est une des originalités de cette figure savoureuse. La verve de son fils fut plus fine, teintée de parisianisme, elle eut moins de laisser-aller. Castil-Blaze arriva jadis de sa province armé « de flûtes et de bassons, » compositeur, chroniqueur, adaptateur, pour conquérir Paris. Henri Blaze y fut élevé, y vécut jeune homme, eut le temps d’en prendre l’air et le ton, et si son ambition égala celle du vieux maestro, la forme qu’il lui donna en fut plus nuancée. Le père et le fils, d’ailleurs, ne s’entendaient pas : le bouillant Castil traitait Henri de raisonneur, il lui reprochait son caractère froid, il ne se reconnaissait pas en lui. Marchant côte à côte sur les boulevards, le père et le fils allaient le long des trottoirs encombrés, à travers la foule parisienne. Castil-Blaze, le feutre sur l’oreille, par-dessus ouvert, face joyeuse, rire aux dents, chantait quelque refrain du pays, en faisant le moulinet avec sa canne. Henri le faisait taire : « Ne soyons pas ridicules, » recommandait-il à son père.

Un de mes amis très plein d’esprit disait en parlant d’un historien, qui faisait à ses heures le commerce du vin : « On peut acheter le vin de X. Il est excellent, et il doit être sincère : comme historien, X n’a aucune imagination. » Quoique Henri Blaze se laissât volontiers entraîner par la sienne, ses études historiques sont d’une qualité excellente. Le mystère de Kœnigs-mark le tenta un des premiers, et le livre qu’il écrivit sur l’Épisode de l’histoire de Hanovre, découragerait, tant son intérêt est vif et soutenu, les meilleurs romanciers d’aventures.

En 1839 il fit le voyage de Weimar, y entreprit une traduction de Faust, qui est, actuellement encore, une des meilleures : Goethe était mort sept ans auparavant ; Henri Blaze put explorer, aidé par le vieux chancelier de Müller, les papiers et les manuscrits du maître. La cour de Weimar l’enchanta ; il prit goût, après ce premier séjour, à l’Allemagne, y revint souvent. Goethe demeura l’objet de son admiration constante, le dieu ; il commença dès 1839 d’étudier sa vie et sa correspondance, et consacra par la suite des ouvrages à la jeunesse du maître, à