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magnifique œuvre de réconciliation et de reconstitution nationale, maintenant apparaît plus éminent encore que le chef de guerre. La France a été par lui arrachée à l’anarchie ; elle se dissolvait quand il l’a saisie de sa main ferme et l’a reconstruite. Avant deux ans, il avait fait ce miracle : imposant son arbitrage aux querelles qui la déchiraient, il avait étouffé les factions et tourne vers les fins utiles la magnifique énergie qui, s’étant manifestée de 1789 à 1792, se dévoyait et se paralysait depuis 1795 ; il a recherché dans les ruines les fondations de l’État ; fils de la Révolution, il a voulu connaître cependant les Traditions. Il les a retrouvées toutes latines. Elles cadraient avec son cerveau latin. Il a repris l’ouvrage magnifique des Rois et l’a consommé. Quand il est tombé, quinze ans d’un règne singulier, celui d’une administration extraordinairement méthodique et laborieuse avaient achevé la grande œuvre. La France lui devait rester certes reconnaissante de la gloire incomparable dont il l’a auréolée, mais c’est plus légitimement encore qu’elle lui sait aujourd’hui gré de l’avoir tirée de l’abime où un Albert Vandal, en des pages convaincantes, nous a peint la malheureuse France de l’an VII se débattant et mourant.

L’histoire est venue le libérer d’une légende qui, le déifiant, l’éloignait de nous. Il était homme, il a travaillé, aimé, peiné, lutté, pâti. Mais, homme et très homme, il reste un type si supérieur de l’Humanité que celle-ci se réclame de lui avec une sorte d’orgueil effrayé. Il se dresse aujourd’hui au-dessus des partis et même des frontières. Le monde entier célèbre le centenaire de sa mort. C’est que son épée a, comme le soc de la charrue, fendu et blessé le sol, mais, pour qu’y fussent jetées des semences qui, bien après sa mort, ont, de par la terre, produit belle moisson. La France qui a collaboré à sa tâche, a le droit de s’en réclamer après ce siècle écoulé. Certains l’avaient voulu faire dieu ; contentons-nous de dire qu’il a été, dans l’acception la plus magnifique du mot, un homme, mais, puisque cet homme fut nôtre, prenons notre part du prestige qui, désormais inaliénable, l’enveloppe et l’auréole.


LOUIS MADELIN.