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toujours été en état de siège : toujours l’Empire sera en état de siège. Les campagnes de Napoléon, du coup, changent de caractère. Il parait parfois l’agresseur : il est, neuf fois sur dix, l’homme qui, souvent bien tard, prévient et, par une sortie heureuse, déconcerte l’agression. Qu’après chacune de ces sorties, il ait cru devoir élargir la zone de protection de la place, qu’il ait été amené à créer à l’Empire des Marches extérieures et par là fait déborder l’Empire démesurément grandi, cela était fatal. Faisait-il autre chose que le gouvernement qui l’avait précédé ? La Convention, le Directoire n’ont-ils pas, eux aussi, créé des Marches et préparé le Blocus Continental ? Or Sorel est sur ce point, lui, l’ancien collaborateur du gouvernement de 1870, plus formel que Thiers lui-même. On ne voit pas, à le lire, le moindre changement de politique au lendemain de Brumaire. Bonaparte a certainement cru, après Amiens, qu’il allait, la paix établie, se pouvoir consacrer exclusivement à sa tâche civile ; et si l’historien établit d’irréfutable façon — et c’est le cas — que l’Angleterre a rompu lu paix, sur qui retombe la responsabilité de l’effroyable lutte qui allait suivre ? « Albion, » dès lors, devient la grande fautrice des coalitions européennes ; Napoléon n’est acclamé Empereur que pour mener, avec des pouvoirs fortifiés, cette lutte gigantesque.

Qu’elle l’entraîne à de lourdes fautes, qui le peut nier ? Le Blocus continental s’impose : déjà le Directoire l’a conçu, tant au blocus des mers doit s’opposer le blocus des côtes. Mais si l’Europe ne se veut soumettre à cette loi de fer, la Fatalité entraîne aux démarches téméraires, aux gestes d’impatience. Si, par surcroît, l’Empereur se voit sans cesse guetté et menacé, combien devient explicable cette surexcitation qui parfois l’aveugle et, par exemple, l’entraîne, et en Espagne et en Russie ! En fait, représentons-nous sans cesse l’homme, qui tentant d’audacieuses sorties, bastionne, cependant, sans cesse sa place assiégée.

Que devient alors le fameux népotisme si amèrement reproché ? La phrase a été longtemps classique : « Napoléon a fait la guerre pour donner des trônes à ses frères. » C’est ce cas là qu’a étudié M. Frédéric Masson. De cette énorme étude sur la Famille, il ressort clairement qu’il faut rayer radicalement de nos cerveaux cette conception maintenant périmée. Qu’imbu de l’esprit de famille, — si on le veut, de l’esprit de clan corse, —