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police un peu forte, une journée trop languissante. Le sabre est-il vainqueur, ainsi que le voulait Lanfrey ? On ne s’en doute pas en étudiant, toujours avec Vandal, — et au témoignage même de M. Aulard, — le lendemain de Brumaire. C’est un gouvernement civil qui s’institue : un savant, Laplace, à l’intérieur, Fouché, un professeur, maintenu à la police, ni l’un ni l’autre ne goûtant les soldats ; au ministère de la Guerre, Carnot qui a certes « organisé la victoire, » mais n’est point un soudard, et, après-demain, quand la Légion d’honneur aura été instituée, un chancelier civil, un autre savant, Lacépède.

Il faut que M. Aulard lui-même s’incline devant le fait : « Cette politique conciliatrice et libérale de brumaire et frimaire, écrit le professeur de la Sorbonne, ... pourquoi n’en ferions-nous pas hommage aussi à Bonaparte lui-même ?... Pourquoi aurait-il été insensible à la gloire civique qui lui était alors offerte par l’unanime concert de ses concitoyens ? Pourquoi, au moment où Washington mourait, n’aurait-il pas eu un instant le désir d’être le Washington de la France ? » Washington ? Washington qui, tout danger intérieur et extérieur étant écarté de la République fondée, quitta le pouvoir — c’est bien cela. Ce Washington, Bonaparte pouvait-il l’être ? Il le faut demander à Albert Sorel.

Un Bonaparte n’est point porté à la tête d’une nation en paix. L’Europe, — à cette heure précise, — menace nos frontières. Elle n’a cessé, en fait, de les menacer depuis 1792 ; elle ne cessera pas un instant de les menacer. La France de la Révolution est une place assiégée ; elle a été, à certaines heures, une place investie ; elle a failli, à d’autres, la brèche déjà faite en sa muraille, être une place envahie. Nul n’a mieux montré qu’Albert Sorel l’acharnement qu’a mis l’Europe à arracher à la France le bénéfice de la grande poussée nationale de 1792. Et, avec une bonne foi qui souvent l’a induit à corriger d’anciennes opinions, Sorel a poursuivi son instruction : pas un jour, de 1799 à 1814, l’Europe n’a renoncé réellement à prendre ses revanches de Rivoli, de Fleurus, de Jemmapes et de Valmy même.

La Nation n’entend point les lui laisser prendre. Si, sur le passage de Bonaparte, entre Fréjus et Paris, des cris de : Vive la paix ! sont poussés, c’est la paix glorieuse que veut ce peuple, celle qui affermira les conquêtes loin de les abandonner. Or, ces conquêtes, l’Europe ne les acceptera jamais. La République a