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bon pour les petits, en qui il voit ses frères dans le Christ, soldat et chrétien, généreux et ferme, et, par-dessus toutes choses, juste. La France aima saint Louis, parce qu’il lui donna ce que le peuple désire le plus et ce qu’on lui accorde le moins : une bonne justice.


Cependant, quand saint Louis meurt, un monde nouveau s’apprête à remplacer cette civilisation merveilleuse, qui, à peine épanouie, décline, en même temps que son idéal s’affaisse. Avec Philippe le Bel et ses successeurs, avec les Capétiens et les Valois, du XIVe au XVIe siècle, la royauté féodale se transforme en une monarchie absolue, la souveraineté prend le pas sur la suzeraineté, le vasselage s’absorbe dans la sujétion : à la notion chrétienne du pouvoir, conçu comme une délégation de Dieu, les légistes substituent la notion païenne de la souveraineté, conçue comme un absolutisme humain. D’autre part, la société démocratique qui avait grandi au sein du régime féodal portait à ses flancs deux plaies vives, la ploutocratie, d’où nait le désordre des finances, et la lutte des classes, qui engendre l’anarchie : comme toute démocratie qui n’est plus réglée, elle finit dans l’égoïsme, et devint la proie de ceux qui, sous couleur de servir le peuple, l’exploitent. Une société réaliste et utilitaire remplace la société croyante et créatrice du XIIIe siècle : l’appétit du pouvoir et de l’argent tue l’idéal. Triste histoire, qui malheureusement n’est pas tout entière l’histoire d’un passé mort.

Comment expliquer cette transformation surprenante et des institutions et des âmes ? Comment se fait-il que du XIIIe siècle ne soit pas sorti, en France comme en Angleterre, un régime de liberté organisée ? Ici intervient un de ces accidents qui jouent un si grand rôle en histoire : et cet accident, ce fut la guerre de Cent ans. Mais les accidents historiques, s’ils retardent ou s’ils dévient un instant le cours de l’histoire, ne le changent point. De fait, ce qui disparaît dans la tourmente du XIVe siècle, ce n’est pas, comme au Xe, le corps social lui-même, ce ne sont que les puissances politiques. Or, si les institutions féodales ont disparu si vite, c’est, en fin de compte, parce qu’elles limitaient abusivement le pouvoir d’imposition du Roi, et qu’ainsi elles ne répondaient plus aux conditions nouvelles. La féodalité finissante se chercha bien un organe, dans les Etats généraux ;