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Qu’était Napoléon aux yeux du public vers 1880 ? Mettons à part les fanatiques qui le déifiaient et ceux qui l’abominaient. Pour le gros public, Napoléon était surtout un très grand, le plus grand des soldats. C’était, au fond, la formule de Thiers qui prévalait. Et parce qu’il était un soldat, toute son histoire était celle d’un soldat heureux : en quoi Taine, somme toute, s’accordait avec Thiers. Etant soldat avant tout, il était assez naturel que Napoléon eût aimé la guerre et que volontiers, et parfois désordonnément, il l’eût faite : voilà pour sa politique extérieure. Etant soldat encore, il était assez vraisemblable qu’il eût établi en France, grâce à « un coup d’Etat militaire, » la « dictature du sabre : » voilà pour la politique intérieure. Né soldat, il avait été, dans sa jeunesse, un être rude et impatient » enfermé dans ses études militaires et ses plans de campagne. Soldat heureux, il n’avait songé qu’à s’emparer de l’Etat pour agrandir au profit de sa famille l’Empire qui lui était livré. Soldat malheureux ensuite, il avait mis à défendre la proie qui lui était arrachée une opiniâtreté qui, en 1813 et 1814, lui avait fait refuser le salut. Ainsi, après avoir opprimé un pays qui d’abord avait paru l’acclamer, avait-il perdu son trône et failli perdre la France. Je ne crois pas exagérer la note qui, suivant le plus ou moins de bienveillance du public, s’accentuait ou s’atténuait sans beaucoup se modifier. Les plus zélés ou les plus impartiaux ne plaidaient que les circonstances atténuantes.

Or le jeune soldat n’est nullement l’être insociable et brutal, enfermé en ses études militaires, qu’on avait dit : M. Frédéric Masson, en ouvrant devant nous les fameux cartons de Florence, résidu des lectures de la jeunesse, nous donne un premier trait nouveau : c’est un étudiant laborieux et studieux qui a simplement appliqué à un travail très varié et toujours acharné un esprit extraordinairement ouvert : toute étude l’a passionnément sollicité, questions économiques, sociales, religieuses, politiques, morales. Tout cela se retrouve dans ces notes prises par le lieutenant Buonaparte, quand il ne s’essayait pas au roman. Au fond, l’influence de Rousseau s’exerce et l’oriente vers l’étude de Va homme. » M. Chuquet à ce trait en ajoute un autre : les relations du jeune homme avec ses camarades ne sont nullement empreintes de cette incivilité qui n’était pas sans plaire