Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rompre, s’avança, le sourire aux lèvres, et dit simplement : « Comme vous avez dû travailler, madame, pour arriver à un pareil résultat ! » Vous devinez le regard qui fut sa récompense.

En ses dernières années, bien qu’elle vécût fort retirée, Mme Viardot m’exprima le désir d’entendre encore une fois Joachim, alors de passage à Paris. J’eus l’honneur de l’accompagner au concert. En voiture, elle parla du grand violoniste, à peu près son contemporain et souvent autrefois son partenaire. Elle évoqua le passé, des souvenirs de théâtre et de famille. Son frère aîné venait d’avoir cent ans. Comme je l’en félicitais : « C’est vrai, dit-elle, nous autres Garcia, nous avons la vie dure. — Hélas ! la Malibran exceptée. — La Malibran, mon cher, elle est morte d’un accident. Ça ne compte pas. » Et rien qu’à cette réponse, au ton surtout dont elle était faite, on sentait l’espoir, la volonté même de vivre encore. Sur l’estrade, un fauteuil avait été préparé pour Mme Viardot. Elle y prit place. Avant de commencer, Joachim s’inclina devant elle. Il lui baisa la main, et le public les unit, elle et lui, chargés d’ans et de gloire, dans une seule et suprême acclamation.

Un jour, il y a près de cinquante ans, j’entendis un conférencier fameux, un maître de ce genre oratoire, dire de Mme Carvalho, qui devait chanter après la conférence : « Elle est la grâce dans l’émotion et, si vous permettez, j’ajouterai l’émotion dans la grâce. » Le public permit, et même il applaudit, non sans trouver peut-être que cela ne voulait pas dire grand’chose. Pourtant cela n’était pas si bête. Emouvante, la cantatrice, à tort qualifiée de chanteuse légère, arrivait à l’être par la grâce même et, veuillez excuser l’antinomie des mots, à « force de grâce, » par le timbre aussi de sa voix, enfin et surtout par la simplicité, par la pureté d’un style assez souvent impeccable. Elle aussi, je ne l’ai guère entendue et rencontrée qu’à la fin de sa carrière. Gounod, bien qu’il se plût à reconnaître, et très haut, tout ce que ses œuvres devaient à leur première interprète, Gounod me disait plaisamment : « N’oublie pas qu’elle a failli créer Mireille habillée en Suissesse. » La cantatrice était supérieure, et de beaucoup, à l’artiste. Et la femme était excellente, même la femme de ménage. L’été, je la voyais chez elle, à Puys, près de Dieppe. Autant que son art, sinon bien plus encore, elle aimait son