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qui voyait clair, mais qui ne put mordre sur les bienséances ; » le public enfin « partagé entre la douleur de la perte de ses délices et la joie de les voir couronnées. »

Faut-il croire que le prince de Conti ne se consolait pas d’abandonner celle qu’il aimait, disait-on, jusqu’à la folie ? « Noyé, affirme Saint-Simon, dans la douleur la plus profonde, à bout d’obstacles, de difficultés, de délais, il faut avouer qu’il soutint mal un si brillant choix, et qu’il ne put cacher ni son désir ni son espérance qu’à la fin il ne réussirait pas. »

Les adieux de Madame la Duchesse furent tendres et tristes, ceux de la princesse de Conti mouillés de larmes. Malgré l’orgueil d’être reine, et quoiqu’elle se réjouît de savoir bientôt son mari loin d’une cour où il était si amoureux, l’inquiétude la dévorait.

Le mardi 3 septembre, après avoir passé une partie de la journée à Paris en compagnie de Dangeau, le prince de Conti y reçut, à sept heures du soir, Torcy qui lui apportait les dernières lettres de Pologne et les derniers ordres du Roi. Il savait maintenant que tous les palatinats de la grande Pologne s’étaient confédérés contre l’électeur de Saxe, qu’on avait déclaré Frédéric-Auguste usurpateur, et juré de le chasser du Royaume ; que la noblesse de Prusse et un détachement de l’armée de Lithuanie attendraient le roi légitime à Dantzick, et que le grand général Sapieha marcherait sur Cracovie. Quittant l’hôtel de Conti à onze heures du soir, il montait en chaise de poste, traversait la ville endormie et prenait la route de Dunkerque.

Il y arriva le jeudi 5 septembre vers cinq heures de l’après-midi. La mer secouait rudement au large les navires de l’amiral anglais Bembow, qui s’apprêtait à lui disputer le passage, et, dans la rade, les cinq frégates de Jean Bart. Le prince de Conti trouva dans la ville une partie de sa suite. Il emmenait en Pologne soixante-dix personnes, et, parmi elles, des diplomates, MM. de Forval et d’Audiffret. Comme jadis en Hongrie, il avait avec lui les chevaliers de Sillery et d’Angoulême, et le chevalier de Lauzun, pour qui le duc son frère avait obtenu le lundi précédent, au lever du Roi, la permission de faire le voyage.

Il ne s’embarqua pas le soir même, car les fourgons, qui transportaient son trésor (deux cent mille écus en espèces, dix-huit cent mille francs de lettres de change, six cent mille francs de pierreries), ne rejoignirent qu’au milieu de la nuit : l’un