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sortait avec une figure nouvelle encore. Il redevenait avant tout le défenseur de l’ordre, l’auteur du Code, le restaurateur des autels, souverain « auguste. » On le plaçait très haut, — le plus haut qu’on pouvait, — en marbre, en bronze, ou simplement en plâtre, si haut qu’il perdait tout contact avec le peuple. Cette image officielle, c’était celle du César banal, couronné de lauriers, celle que la Nation, au fond, avait le moins aimée, bustes à l’œil atone, au regard vide, — un lointain ancêtre qui avait dû régner au Palatin, il y avait quelques siècles. Béranger n’y reconnaissait plus le souverain des chaumières. Ses amis disent qu’il en mourut.

L’autre aventure était que, confisqué par le régime, l’homme devenait, de ce fait, odieux à tous ceux qui haïssaient celui-ci. Continuer à l’exalter eût été pour un Hugo, un Quinet, un Thiers même, une manière d’inconséquence ; l’attaquer parut bientôt œuvre pie et manœuvre nécessaire à la génération qui maintenant s’élevait contre l’Empire. Alors se déchaîna le mouvement anti-napoléonien le plus violent qu’on eût connu. Il fut d’ailleurs aussi médiocre en son expression qu’excessif en son principe. Tandis que Thiers s’en tenait à découvrir tardivement à l’actif de son héros des fautes qu’il ne lui avait point attribuées naguère, et que Hugo, fumant d’indignation, écrivait les Châtiments, toute une école, de Charras à Schérer, se livrait à une débauche d’attaques dont le cours de Barni à Genève et l’Histoire de Napoléon de Lanfrey ne sont que les deux manifestations les plus notables. Devant un public d’étudiants accourus des Universités voisines, Barni multipliait les coups, se refusant à la plus petite réserve dans le blâme, assimilant, sans aucun sens critique, Brumaire à Décembre, retirant à Napoléon la paternité du Code, niant formellement le bienfait du Concordat, flétrissant comme une entreprise de corruption l’institution de la Légion d’honneur, condamnant toutes les guerres comme ayant été la conséquence de la fureur d’un soldat déchaîné, contestant d’ailleurs, avec Charras, le génie même militaire de ce stratège surfait, et plaignant avec chaleur l’infortuné sir Hudson Lowe d’avoir eu à garder un prisonnier incommode, quinteux et tyrannique.

Là-dessus Lanfrey publia sa fameuse Histoire de Napoléon que Brunetière a jugée d’un mot : « témoignage éternel, dira-t-il, de ce qu’une fausse conception du libéralisme peut inspirer