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chaque année aux ouvriers de la terre, de voir jaunir les épis. Dans une conférence de retraite, il disait à ses missionnaires : « Avant de commencer parmi eux (les musulmans) la prédication de l’Evangile, il faut préparer la conversion en masse. Cette préparation durera peut-être un siècle. Je suis évêque ; j’ai une crosse et une mitre. Eh bien ! j’aurais beau mettre ma mitre au bout de ma crosse, et élever le bras aussi haut que possible, je disparaîtrai avec vous dans les fondations de la nouvelle Église d’Afrique. » Ce fut la méthode du Père de Foucauld. Il m’écrivait, le 16 juillet 1916 :

« Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du Nord de l’Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste analogue à celui de la Turquie : une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l’esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l’étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses ; d’autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu’elle a avec les Français (représentants de l’autorité, colons, commerçants), contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous faire aimer d’elle. Le sentiment national ou barbaresque s’exaltera dans l’élite instruite : quand elle en trouvera l’occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l’Islam comme d’un levier, pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer an empire africain musulman indépendant. »

L’Empire Nord-Ouest africain de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale française, etc., a 30 millions d’habitants ; il en aura, grâce à la paix, le double dans cinquante ans. Il sera alors en plein progrès matériel, riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d’habitants rompus au maniement de nos armes, dont l’élite aura reçu l’instruction dans nos écoles. Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens.

« 21 juin 1903. — J’ai reçu, il y a quelques jours, du commandant Laperrine d’Hautpoul, commandant supérieur des