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de Jessincourt, a révèle chez lui la même souplesse de talent qui avait si fort surpris chez l’auteur de Madame Bovary.

Dans tout cela, nulle analogie avec les écrivains de sa génération. Même dans ses œuvres d’extrême jeunesse, on ne l’a vu touché par aucun de ces virus qui, vers 1883-1890, contaminaient toute la jeunesse littéraire : décadentisme, symbolisme, ésotérisme, — amphigourisme pour tout dire. Dès ses premiers livres, sa langue est entièrement fixée. Elle ne comporte ni néologismes, ni locutions rares et précieuses. Les effets les plus vigoureux et les plus subtils sont obtenus par les moyens les plus simples. Ce sont les nuances de la sensibilité et les modalités de la pensée, — ce sont les « dessous » en termes de peintre, — qui en font toute la richesse. Pas d’art pour l’art, pas de virtuosité. Les descriptions sont nombreuses dans son œuvre, mais nulle part elles ne ralentissent l’action sans y ajouter quelque chose, sans exalter les sentiments, ou modifier les caractères. Elles sont de l’action même : l’action des choses sur les êtres. « Je suis un homme pour qui le monde extérieur existe, » aime à dire l’auteur, et comme, d’ailleurs, c’est vrai, dans une certaine mesure, de tous les êtres vivants, en ce sens que tous sont influencés par ce qu’ils voient, au moins à de certains moments décisifs, il s’ensuit que décrire ce qu’ils voient, c’est préfigurer ce qu’ils feront.

François de Llar visitant l’Escurial et ses trésors, sent croître en lui la confiance dans la grandeur de l’Espagne et le désir de s’y dévouer ; Cécilius arrêté par le défilé d’une procession païenne, la fête du vin à Carthage, au moment où il se rend chez le proconsul, trouve dans ce grotesque étalage des superstitions païennes, de plus fortes raisons encore de s’affirmer chrétien. Inès de Llar, obligée d’assister à une fête de Versailles sous le grand Roi, en attendant le moment de solliciter une grâce, sent grandir son amour pour Parlan, de toute son admiration pour le règne nouveau que Parlan représente. Les cloches de la Giralda de Séville, mises en branle à la veille de l’Immaculée Conception, enfoncent dans le cerveau du Rival de Don Juan l’idée du suicide. Ainsi, chacun des tableaux admirables que l’auteur a brossés, semble-t-il, pour le seul plaisir des yeux, se retrouvent perceptibles dans le cœur des êtres qu’il a créés, en images motrices de volontés.

Elles sont si peu de l’artifice, et l’auteur pense si naturellement