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réfractaires, les tiraillements du sentiment qui le rattache à la mère-patrie, l’orgueil de la force et l’enivrement de la vie libre, qui le remporte vers le Sud ; puis l’instinct très vif et très profond de la famille qui résiste à tous les débordements, et l’instinct religieux, qui survit à toute la « blague » anticléricale ; enfin la fierté du sang qui le porte à perpétuer la race, tout cela, — c’est-à-dire tout ce qui transforme un Espagnol en un Algérien et ce qui fonde un peuple nouveau, — ne peut acquérir sa force et sa signification que grâce aux étapes et aux oppositions, aux retours et aux différents plans, qui en font paraître, peu à peu, toute la profondeur. C’est un cycle d’humanité qu’il faut parcourir tout entier, si l’on veut en découvrir le sens.

Pareillement, ne chercher dans la Cina qu’une aventure amoureuse dans un décor algérien, serait proprement en oublier le sujet : la prise de possession et la mise en valeur de la côte africaine par la France, continuatrice de Rome, malgré les erreurs politiques, les malentendus, les surenchères démagogiques, la tourbe émeutière ou spoliatrice, — emprise grandissante, qui s’achève dans cette vision d’apothéose : un concile provincial à Carthage, le cardinal Puig debout sur les marches de la basilique et « la main bénissante du Prince romain enveloppant l’Afrique et la mer. »

Ce qui frappe, ensuite, dans les romans de M. Louis Bertrand, c’est leur accent réaliste. « A travers le Beau, faire vrai et vivant quand même ! » s’écriait Flaubert, la nuit qui précéda l’entreprise énorme de Salammbô. Le même mot d’ordre semble s’être imposé à l’auteur de l’Invasion. La vie, dans tous ses aspects, lui a paru passionnante à observer et à rendre. Et il a vite reconnu qu’elle a beaucoup d’aspects même dans les natures populaires, qui ne sont simplistes que pour qui les ignore. Ses ouvriers italiens, espagnols, maltais, français, importés du Midi ou nés Algériens, impulsifs, chapardeurs et retors, avec leurs discussions confuses, violentes, les conflits d’intérêts, de races, de castes sociales échelonnées à l’infini dans une foule au premier abord identique, leurs soubresauts de vanité, leurs éclairs de sentimentalité, leurs jalousies de bêtes en rut, leurs roueries de diplomates, leurs accès de dignité impérieuse, sont choses vivantes et complexes et mouvantes comme les flots qui baignent leurs rivages. On n’est pas en présence de ces types de