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de Timgad, puis Lambèse, Tébessa l’ancienne Théveste, et encore le colisée d’El Djem et une foule d’autres... « Et on a aussi déterré déjà deux cent cinquante chapelles, églises ou basiliques chrétiennes ! » répète l’auteur de Saint Augustin. Pour un peu, on sent qu’il ferait bon marché de toutes les antiquités grecques, — je veux parler de la seule architecture, — en l’honneur des antiquités de l’Afrique romaine. On est presque convaincu, tout au moins ébranlé, par cette avalanche de monuments et de pierres... On avoue, en tout cas, qu’on n’en soupçonnait pas l’ampleur, ni l’éclat... Pour beaucoup de Français, l’histoire de l’Algérie commence à Abd-el-Kader. Constantine n’évoque, chez la plupart, que l’idée d’un rocher fortifié dont le siège fut difficile. Qui pense à Cirta et à en chercher les traces ? Jusqu’ici, les beaux travaux africains de tant d’archéologues et notamment de M. Stéphane Gsell sont restés la pâture d’une élite. M. Louis Bertrand s’anime en reprochant à ses compatriotes leur indifférence. Il s’efforce de leur restituer le sens et l’orgueil de ces trésors. Il accumule les arguments, tirés de l’histoire et de la littérature antiques. C’était un voyageur qui parlait tout à l’heure ; maintenant, c’est un humaniste, un latiniste : il commente des inscriptions, il cite des textes. On éprouve sur quelles solides substructions sont édifiés les monuments de Saint Augustin et de Sanguis Martyrum.

Sort-on dans le jardin pour reprendre la route de la ville, la vision antique persiste encore. Car l’Antiquité tout entière est là, resserrée entre ces rochers et cette maison, pour peu qu’on ait des yeux et qu’on les ouvre sur ce que la terre offre de formes et de motifs au poète, comme à l’artiste et au décorateur. Il y a, là, un fourré d’acanthes, de quoi pavoiser tous les chapiteaux de la Grèce, et assez d’oliviers pour y suspendre toutes les syringes, les toisons, les lecythes et les masques, des bas-reliefs qu’on voit sur les tombeaux antiques... A l’imitation de l’aphorisme sur la patrie, on pourrait dire : « L’Antiquité n’est pas là seulement où l’on déterre des débris de colonnes : elle est partout où la Nature éternelle offre les formes et les motifs que les Grecs ont utilisés. » A point pour illustrer ceci, des femmes descendent la colline, en portant leur fardeaux sur leur tête avec le geste et le rythme immuables depuis des milliers d’années, propres aux races du Midi. Plus haut, un homme bêche un petit carré de laitues. Un âne broute ce qu’il