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Balzac. Non pas le Balzac de Rodin, ni même celui de Falguière, mais le type plus humain des estampes de son temps, seulement moins lourd, moins écrasé par le travail de cabinet, plus aéré, plus dispos, le teint, le geste et tout l’habitus corporis façonnés par la vie errante des caravanes. Cette rencontre, toute fortuite, de physionomie et d’expression avec l’auteur de la Comédie humaine, ne s’arrête peut-être pas au masque et peut paraître le signe d’une ressemblance plus intime, lorsqu’on se souvient des foules que Louis Bertrand a mises en mouvement, des familles entières de types qu’il a créées, des dynasties de prolétaires qu’il a suivies dans leur évolution, et de cette abondance extraordinaire de détails pris sur le vif, par quoi il les a caractérisées.

Une fois passée la surprise causée par ce cas de reviviscence physionomique, on cause. L’accueil est bienveillant, gai, hospitalier, malgré la malice qui luit dans les yeux. Le jeune confrère qui a voulu connaître le maître est tout de suite à son aise. Combien ont déjà trouvé auprès de lui sympathie, encouragement et appui ! Et le vieux routier de lettres, qui a connu plusieurs générations d’écrivains, discerne tout de suite que celui-ci est de la famille des esprits robustes, sans apprêt, sans décor, qui mettent toute leur originalité dans leurs œuvres et n’offrent, dans leur aspect et leur conversation, que la simplicité la plus parfaite et la plus naturelle rondeur. Tel, l’« honnête homme » du XVIIe. Il est même assez difficile d’amener M. Louis Bertrand à parler de son œuvre, de ses voyages, de la genèse de ses idées et de ses livres. Sans doute pense-t-il qu’ils se suffisent à eux-mêmes et qu’un écrivain s’est assez expliqué quand il a créé. En quoi il a, d’ailleurs, tout à fait raison. Mais ce silence au premier abord est décevant. L’auteur de la Cina doit être le tombeau des interviews. Seule, une affirmation, qui heurte ses convictions ou son expérience, a le pouvoir de déverrouiller le trésor de ses souvenirs.

A part cela, nul n’est moins distant, ni contraint, ni avare de ses loisirs. Ce rude ouvrier de lettres, dont l’œuvre si considérable doit exiger un incessant labeur, a l’air, au moins tant que dure votre visite, de n’avoir rien à faire. A travers les touffes fleuries de son jardin, il flâne, il muse, il épie. Car tout Lorrain qu’il soit, il a le goût des causeries péripatéticiennes en plein air, sous les oliviers aux fines ombres, entre les citronniers