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Grand-Ecuyer me fit habiller en mameluck, et, le 11 décembre, je crois, je fus présenté à l’Empereur, au bois de Boulogne, au rond des acacias. C’était un jour de chasse. Dès que l’Empereur fut arrivé au rendez-vous et descendu de voiture, le duc me fît appeler et Sa Majesté, en me regardant de la tête aux pieds, lui demanda ce que je savais faire, si je savais lire et écrire. Sur la réponse que fit le Grand-Ecuyer, que j’avais travaillé quatre ans chez le notaire, l’Empereur dit : « Ah ! il en sait plus qu’il m’en faut. » Je fus accepté. Le lendemain, j’entrai au service intérieur. L’Empereur voulut que je le servisse à son déjeuner et à son diner. Ce fut par là que je commençai le service. Ma besogne, dans le courant de la journée, fut d’aider au valet de chambre de service ou de le seconder à la toilette [1]. On m’apprit à faire le lit du maître de l’Europe et à disposer toutes choses qui lui étaient nécessaires et qu’il pouvait demander dans son intérieur. Au déjeuner, je servais directement l’Empereur ; au dîner, je donnais aux pages qui servaient, les assiettes, les couverts et les mets qu’ils avaient à présenter. Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour que je me trouvasse au fait de mon nouveau métier.

Ce fut pour moi une vie toute différente de celle que j’avais menée : au lieu d’être à me promener dans une écurie, à faire faire le pansement des chevaux, à faire des conduites, enfin à faire le sous-piqueur, j’étais assis dans un fauteuil ou sur un canapé, à causer ou à dormir auprès d’un bon feu, en attendant que l’on eût besoin de mon service. L’oisiveté avait remplacé l’activité. Je n’avais pour toute distraction que le plaisir de converser avec le valet de chambre de service, ou de regarder au travers des vitres de la fenêtre (l’Empereur était alors aux Tuileries) pour voir ce qui se passait dans le jardin. C’était une vie bien monotone que de rester toute la journée dans de beaux appartements. Je ne sortais que pour aller dîner vers les quatre ou cinq heures, quand l’Empereur n’était pas dans son intérieur. Le temps où j’étais libre, c’était le soir, quand Constant ou Roustan étaient arrivés pour le coucher de l’Empereur.

  1. Aux Tuileries, l’Empereur portait l’habit de grenadier, et, dans tout autre endroit, à l’Elysée, à Saint-Cloud, etc., et dans les voyages ou à l’armée, il mettait constamment celui des chasseurs à cheval. En cérémonie, avec le costume militaire, il mettait le grand-cordon de la Légion d’honneur sur l’habit de grenadier.