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Il est grand temps de mettre un terme à des désaccords qui finiraient par ruiner complètement l’Entente cordiale et par laisser dans l’âme des deux peuples une aigre rancœur. M. Lloyd George, qui se débat au milieu de terribles difficultés intérieures, s’est placé d’autorité, depuis deux ans, au gouvernail du vaisseau qui porte la fortune des Alliés. S’il s’était aperçu plus tôt du mécontentement qui grandissait en France, à la suite des déceptions successives qui nous étaient infligées, je ne mets pas en doute qu’il aurait, depuis longtemps déjà, changé l’angle de barre. Notre tort, sur lequel j’ai maintes fois insisté, a été triple. Nous avons suivi, pour négocier avec lui, des méthodes de conversations directes et d’entrevues fugitives, qui nous mettaient le plus souvent en état d’infériorité ; nous avons traité les questions dans l’ordre dispersé, sans jamais vouloir établir un bilan d’ensemble ; et chaque jour, nous avons cédé, avec l’espoir qu’on nous le revaudrait le lendemain. Prenons, sans plus tarder, le contrepied de tout ce que nous avons fait jusqu’ici. Renonçons aux conférences tapageuses et aux rendez-vous hâtifs. Mettons, de part et d’autre, sur le tapis tous les objets qui nous divisent : la Haute-Silésie, la Ruhr, les gages, Constantinople, Angora, Feyçal, la Pologne, la Russie, et procédons, comme en 1904, à un apurement loyal. Mais, dans cette liquidation générale, traitons d’égal à égal et parlons avec autant de ferme franchise que de fidèle amitié. Si nous laissions les choses s’envenimer davantage, deux grandes nations, qui, pour le bien de l’humanité, doivent, à tout prix, demeurer unies, retourneraient à des haines ancestrales, dont la reviviscence serait aujourd’hui un non-sens et un sacrilège. Pour éviter cette catastrophe, il faut et il suffit que, dans l’entente nécessaire, il n’y ait ni hiérarchie, ni subordination ; il suffit, mais il faut, qu’en face de l’Angleterre amie, la France reste la France.


RAYMOND POINCARÉ.


Le Directeur-Gérant :

RENE DOUMIC.