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Président de la République ; la ville de Paris avait fait, en 1914, au roi George V un accueil enthousiaste ; mais nous n’avions aucune certitude d’être soutenus par l’Angleterre, s’il plaisait à l’Allemagne de se jeter sur nous. Lorsque l’orage a fondu, sir Edward Grey a déployé une magnifique activité pour mettre l’Europe à l’abri de l’averse ; il a multiplié les initiatives pour retenir l’Allemagne et l’Autriche ; et il a certainement, par là, bien mérité de l’humanité. Mais, à la veille de la catastrophe, lorsque la France interrogeait l’Empire britannique sur ses intentions, l’Empire britannique restait muet. Il consultait son intérêt, et il avait raison. Il n’avait pas à se sacrifier pour autrui. Son intérêt était certainement de ne pas laisser écraser la France, et la clairvoyance de ses hommes d’État les avait, tout de suite, fixés sur ce point ; mais, dans un pays d’opinion, ils voulaient être sûrs d’être compris par l’homme de la rue ; et ils attendaient. Si l’Allemagne n’avait pas commis le crime de violer la neutralité belge, nul ne sait combien cette attente aurait pu se prolonger.

L’ultimatum de Berlin au Cabinet de Bruxelles a révolté la conscience britannique. L’Angleterre, garante de l’indépendance de la Belgique, n’a pas, un instant, songé à oublier ses engagements. Pour les tenir, elle a déclaré la guerre à l’Allemagne et elle a pris ainsi, en toute liberté, une décision qui lui fait grand honneur et qui, du reste, était, elle aussi, conforme à son intérêt bien entendu. Elle ne pouvait, en effet, laisser les Allemands s’emparer d’Ostende et d’Anvers et s’installer définitivement, en face d’elle, sur la mer du Nord. Dans les plus nobles déterminations des Puissances, il y a toujours un peu de cet égoïsme sacré, dont un Président du conseil italien a fait, au cours de la guerre, une apologie raisonnée ; et lorsque, ces jours-ci, l’ambassadeur des États-Unis à Londres a déclaré, au Pilgrim’s Club, que son pays « n’avait pas envoyé des soldats au delà des mers pour sauver l’Angleterre, la France et l’Italie, mais uniquement pour sauver les États-Unis d’Amérique, » le colonel Harvey n’a fait qu’exprimer, à son tour, une vérité que la France est trop souvent tentée de perdre de vue. Les maximes Charity begins at home, ou Chacun pour soi, ont, sans doute, du point de vue d’une morale supérieure, quelque chose d’étroit et de choquant, et l’idéalisme du peuple français a ce mérite qu’il nous pousse souvent à nous élever au-dessus de nos propres intérêts ; mais il a, en même temps, ce défaut qu’il nous empêche parfois de discerner les véritables mobiles de notre prochain.

Donc chacune des nations alliées et associées est entrée en guerre