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Le charivari de ses camarades imprévus ne l’empêche pas de méditer à part lui sur les simulacres et apparences de la vie au milieu desquels il badine : « Je me promène au milieu des ombres, a dit Platon. Aucune d’elles, ni moi-même, n’offrons plus de substance que celles qui se refléteraient au fond d’une caverne vers laquelle je serais tourné et qui constituerait pour moi le monde. Les réalités sont bien au delà, bien au-dessus, là-haut, dans le domaine des Idées. Et, comme je suis au-dessous, je n’ai qu’à regarder mon ombre se refléter au fond de la caverne, ainsi qu’un spectateur, assistant à la représentation ! » Seulement, pour assister à la vie, à l’illusion de la vie, comme un spectateur, il faut s’être détaché de la vie, par une abnégation totale : et voici que M. Gretzili est amoureux fou de la petite jeune fille. De sorte qu’il a certainement l’abnégation de l’esprit que sa philosophie réclame : non pas du tout l’abnégation du cœur. Il va se mêler à la vie, tout de même que s’il croyait à la vie. La logique du cœur et celle de l’esprit se contrarient.

La petite jeune fille est fort demandée par les jeunes hommes qui l’entourent, notamment par l’un des militaires, joli garçon, l’un des héros de la guerre, et très gaillard. Quel rival, pour M. Gretzili ! Vieux bonhomme très décati, peu solide sur ses jambes, il n’a de supériorité que mentale et saurait, mieux qu’un autre, combiner les paroles gentilles. Hélas ! la petite jeune fille le regarde et n’est point touchée. Il la supplie de ne le point regarder, mais de regarder une photographie de lui qu’on a faite quand il avait dix-huit ans : « Il ne faut pas rire. C’est le moment d’être sérieuse. Il faut prendre ce portrait, le tenir en main pendant que je te parlerai ; et, à force de le regarder, croire que ce n’est plus moi, que c’est lui qui te parlera... » On étonnerait M. Gretzili en lui disant qu’on ne s’accoutume pas à l’illusion tout de go. Eh ! la vie, à quoi vous êtes si bien accoutumés, n’est qu’illusion ! répondrait-il. Mais la petite jeune fille, sans répliquer, sans discuter les opinions philosophiques de Berkeley, de Hume et de M. Gretzili, préfère au fantôme idéologique d’un philosophe rajeuni la réalité d’un jeune soldat.

Les aventures de M. Gretzili tournent à une bouffonnerie que M. Maurice Beaubourg a menée à merveille. Son livre est bizarre, est charmant, drôle, absurde, pathétique, l’une des œuvres de notre temps les plus originales et riches de méditation, de sensibilité, de fantaisie intelligente.

Après que M. Gretzili a subi de fâcheuses tribulations, il vient à connaître son tort. Il a philosophé : il n’a point vécu ; il a oublié de