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résolus à peindre en noir la vie humaine. Ceux-là vous présentent l’image d’une monstrueuse humanité, livrée aux instincts les plus abominables et conduite à sa perte par une fatalité atroce. Les hommes n’y sont que des bêtes sauvages et concupiscentes. Je ne dis pas que cette image soit jolie : voire, elle n’est pas toujours bien ragoûtante. Mais il y a, dans une telle façon de comparer l’homme et la bête, comparaison qui tourne au détriment de l’homme, une sorte d’insolence et de fureur où l’on découvre de la poésie. Jules Lemaitre a défini l’œuvre d’Emile Zola « l’épopée de l’animalité humaine. » Si l’abjection de l’humanité devient épique, c’est une consolation qui dépasse toute espérance. Nos conteurs gais n’accordent à l’humanité aucune consolation de ce genre.

II arrive aussi que les plus farouches réalistes, écrivains sans finesse, ne dissimulent pas habilement leur parti pris injurieux. Leur procédé se voit en plein. Leur truc est bientôt débiné. Vous sentez que de gros farceurs travaillent à vous faire de la peine, et l’illusion se détraque. Nos conteurs gais sont beaucoup plus malins. Ils ne vous avertissent pas de leur dessein, ne vous laissent pas le deviner et même vous donnent le change par cette gaieté de leur manière si joliment sournoise et décevante.

Fausse gaieté ? Si l’on veut ! Principalement, c’est la gaieté paradoxale, et naturelle cependant, mais oui, la franche gaieté des pessimistes.

On aurait vite compté, dans l’histoire de la littérature et de la philosophie, les pessimistes qui ont été vraiment tristes. Le vieil Héraclite paraît avoir été morose. Il disait que tout s’écoule et qu’on ne se baigne par deux fois dans le même fleuve : un autre philosophe eût aimé cette variété d’une vie perpétuellement nouvelle et qui a de telles ressources divertissantes qu’elle vous dispense de ressasser vos plaisirs ; avec un peu plus de frivolité sage, vous remercieriez le fleuve qui, à chacun de vos bains, fournit une eau fraîche et toute neuve. Giacomo Leopardi aussi était, semble-t-il, adonné à la mélancolie. Sa mauvaise santé ne le disposait point à une constante allégresse. D’ailleurs, il ne voulait pas qu’on dît que sa doctrine de l’infelicità vînt de ses souffrances : hélas ! qu’en savait-il, quand on ne sait jamais comment les opinions que l’on a dépendent des sentiments que l’on éprouve ? Puis, tout en dénigrant la vie humaine, du moins trouvait-il la nature attrayante. Quelques minutes avant de mourir, un beau soir d’été, il se flattait d’aller, à peine guéri, se promener au mont Vésuve ; il dit à sa sœur Paolina et à son fidèle ami