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A trois heures de l’après-midi, l’entrée en scène de vingt-deux escadrons, amenés par le marquis d’Harcourt, frappe de terreur la droite de l’ennemi. Les Alliés ont leur gauche pressée vers Néerlanden par un mouvement offensif de la droite française, leur centre bousculé par nos cavaliers, et, derrière eux, la Geete, une rivière aux bords escarpés. Malgré les charges de Guillaume d’Orange et de ses gardes, malgré la retraite en bon ordre de leur gauche, la panique précipite une course folle vers les sept ponts de la Geete. Les fuyards s’y écrasent. Un grand nombre tombent dans la rivière grossie par les pluies. Les noyés s’y entassent et forment « des ponts d’hommes et de chevaux, » où passe le troupeau épouvanté qui accourt derrière eux. Ils abandonnent quinze cents prisonniers, soixante-dix-sept étendards, quatre-vingt-quatre canons et une infinité de chariots.

Si les vainqueurs franchissaient la Geete, Guillaume d’Orange n’aurait bientôt plus d’armée. Mais bêtes et gens sont accablés par la chaleur, les munitions presque épuisées. Sur l’ordre de Luxembourg, la poursuite s’arrête.

Le 18 septembre, Conti mérita, sous les murs de Charleroi, ce qu’on appellerait aujourd’hui une citation à l’ordre du jour. Le maréchal de Villeroy assiégeait cette place avec une partie de l’armée, pendant que Luxembourg le couvrait avec le reste. Conti demeura vingt-quatre heures à la tranchée, malgré la fièvre ; refusa de partir avant d’avoir été relevé, dut être transporté à Mons, où Dodart, médecin de sa femme, et Morin, médecin de son beau-père, vinrent de Paris en poste le soigner, et ne fut guéri que par le quinquina. Charleroi capitula le 11 octobre. La campagne de 1693 était terminée.


Conti arriva à Versailles le 1er novembre, le bruit de ses exploits l’avait précédé depuis longtemps. Luxembourg ne les dissimulait pas dans le billet d’une concision si curieuse où la fierté éclate sous la modestie apparente : « Sire, Artagnan, qui a bien vu l’action, en rendra bon compte à V. M. Vos ennemis y ont fait des merveilles, vos troupes encore mieux. Les princes de votre maison s’y sont surpassés. Pour moi. Sire, je n’ai d’autre mérite que d’avoir exécuté vos ordres. Vous m’avez dit d’attaquer une place et de donner une bataille. J’ai pris l’une et j’ai gagné l’autre. » Les princes de votre maison s’y sont surpassés,