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fait si singulier, et je délibérais entre m’en retourner ou pousser jusqu’à l’armée du Roi, lorsque je vis venir de notre camp M. le prince de Conti, seul aussi, suivi d’un seul page et d’un palefrenier, avec un cheval de main. « Qu’est-ce que vous faites là ? » me dit-il en me joignant ; et riant de ma surprise, il me dit qu’il s’en allait prendre congé du Roi, et que je ferais bien d’aller avec lui en faire autant. « Que veut dire prendre congé ? » lui répondis-je. Lui, tout de suite, dit à son page et à son palefrenier de le suivre un peu de loin et m’invita d’en dire autant au mien et à un laquais qui me suivait. Alors il me conta la retraite du Roi, mourant de rire, et, malgré ma jeunesse, le chamarra bien, parce qu’il ne se défiait pas de moi. J’écoutais de toutes mes oreilles, et mon étonnement inexprimable ne me laissait de liberté que pour faire quelques questions. »

Les préventions du Roi à l’égard du prince de Conti étaient donc justifiées. Le vieil homme n’avait pas changé, celui des lettres de 1685 et des lardons insolents.

Mais que s’était-il passé ? Le Roi avait déclaré la veille au maréchal de Luxembourg qu’il envoyait le Dauphin en Allemagne avec un gros détachement des armées de Flandre et que pour lui il retournait à Versailles. La prise de Heidelberg lui donnait l’espoir de contraindre les princes de l’Empire et l’Empereur lui-même à la paix, si, demeurant sur la défensive en Flandre, on portait le principal effort de la guerre en Allemagne, M. de Boislisle a publié la noble lettre que Louis XIV écrivit alors à Monsieur. Une seule phrase de Louis XIV suffit à confondre les railleries de Conti, les jugements téméraires de Saint-Simon : « Je me suis rendu aux remontrances vives que l’on m’a faites et aux mouvements de ma propre raison, et j’ai sacrifié avec plaisir mon goût et ma satisfaction particulière et ce qui pouvait le plus me flatter, au bien de l’État. »

Même si Conti et Saint-Simon n’avaient pas ignoré cette lettre, ils étaient trop mal disposés pour comprendre les raisons de Louis XIV. « Toute la généralité, » qu’ils rencontrèrent bientôt revenant de chez le Roi, n’était guère d’humeur à leur inspirer des appréciations plus justes. Les maréchaux de Luxembourg et de Villeroy, Monsieur le Duc, le duc de Montmorency, fils aîné de Luxembourg, Albergotti et Puységur « s’écartèrent, mirent pied à terre, et y furent une bonne demi-heure à causer, on peut ajouter à pester. »