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donne à O’Meara les marques les plus précieuses de sa confiance. Il le comble d’argent (100 000 francs), de recommandations pour les siens, pour sa mère, pour Marie-Louise, pour ses frères ; il lui fait présent d’une belle tabatière, de sa statuette par Galle ; enfin, il l’embrasse et il lui dit : « Adieu, O’Meara, nous ne nous reverrons plus, soyez heureux »

Montholon est chargé d’écrire au gouverneur : « Le docteur O’Meara a quitté hier Longwood, forcé de laisser son malade au milieu du traitement qu’il dirigeait. Ce matin, ce traitement a cessé. Ce matin, un grand crime a commencé d’avoir exécution ! L’Empereur ne recevra jamais d’autre médecin que le docteur O’Meara, parce qu’il est le sien, ou celui qui lui serait envoyé d’Europe, conformément à la lettre du 13 avril. »

Pourtant, comme médecin, quelle confiance peut inspirer O’Meara, et comment doit-on le juger ? Il a singulièrement varié dans ses diagnostics, selon qu’il attendait sa fortune des Anglais, ou de l’Empereur. Tantôt, il prenait à tâche de tourner son malade en dérision ; tantôt, il attribuait à sa maladie la forme la plus dangereuse. Ce n’était rien, et c’était tout, selon les espérances qu’il formait. A coup sûr, cela ne permettait pas de concevoir une opinion très haute de sa compétence, mais pouvait-il mieux faire que d’appliquer à une maladie étiquetée : maladie de foie, le traitement alors en vogue dans les écoles britanniques ? Pilules bleues (Blue pills) à base de mercure, pommade mercurielle, quassia, racine de Colombo et extrait de cantharide, c’était le traitement classique. Était-ce sa faute, s’il acceptait un diagnostic qu’il ne pouvait point vérifier, et que semblait justifier la fréquence de la maladie dans l’Ile ? L’expérience qu’il avait acquise en quinze années de pratique lui permettait de résoudre les cas classiques, de panser une blessure, de faire une amputation, d’extraire un projectile, de couper une fièvre, mais elle le laissait impuissant devant une affection compliquée et difficile à déterminer. Il y avait une maladie de foie, et elle se manifestait par des symptômes irrécusables. Cette maladie, de plus, était celle que Napoléon voulait avoir, parce qu’elle était la conséquence du climat, ou du moins qu’on pouvait la lui attribuer. Napoléon transporté ailleurs, la maladie guérissait. Comment ne pas en jouer ? A la vérité, durant que Napoléon était enfant, Madame Bonaparte, malgré la dépense qui était lourde, et malgré les tracas d’un