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c’est par centaines et par centaines que les Juifs coururent au baptême : ils se précipitaient à l’église, comme dans une compagnie d’assurances, la plus sûre qu’il y eût au monde.

Leurs craintes n’étaient pas chimériques. Ce que laissait derrière elle la dictature du prolétariat, c’était dans toute la nation une si violente haine antisémite, qu’aujourd’hui encore elle domine tout autre sentiment, même l’humiliation de la défaite et la tristesse de la patrie diminuée. Israël connut alors un de ces tristes moments, comme il en a traversés tant de fois au cours des âges, mais qui dut avoir pour lui un goût de fiel d’autant plus amer qu’il s’était habitué à considérer la Hongrie comme une nouvelle patrie, une terre de Chanaan. D’un bout à l’autre du pays, ce fut une ruée sur les Juifs. Les crimes de Szamuely et des gars de Lénine étaient venus s’ajouter à tous les vieux griefs que les paysans avaient contre eux. Et plus récemment encore, quand les Roumains avaient envahi le pays, raflant tout ce qu’ils pouvaient emporter, on avait vu dans la campagne les Juifs accueillir l’envahisseur avec un empressement servile et il avait semblé monstrueux qu’après avoir été les favoris du bolchévisme, ils le fussent encore du Roumain qui venait mettre à la raison Bela Kun et ses amis ! Il fallut payer tout cela. Maintes choses tragiques se passèrent dans ces endroits où, quelques semaines plus tôt, Szamuely arrivait avec ses porteurs de grenades. Aux environs du bourg d’Orgovany, j’ai traversé tel petit bois d’acacias, bien léger et transparent par un beau jour d’été, où, sans autre forme de procès, les gens des environs pendirent d’un coup soixante-deux bolchévistes, dont la plupart étaient hébreux. Un paysan qui m’accompagnait, et qui avait certainement participé à l’affaire, me dit en me montrant ses mains avec un intraduisible sourire : « Il n’y a pas de sang sur mes doigts, mais il n’y a plus de Juifs au village... »

Des troupes d’officiers, sans solde et sans métier, qui s’étaient donné pour mission de purger la Hongrie du bolchévisme, parcouraient la campagne, pratiquant des exécutions sommaires, pour se venger des vexations qu’eux-mêmes ou leur famille avaient subies pendant le Communisme et l’invasion roumaine. A Budapest, quelques-uns de ces détachements (c’était le nom que se donnaient ces bandes d’officiers) s’étaient installés dans