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suffisait à remplir toute son ambition et qu’il ne voyait rien au delà.

Pendant ce temps, les troupes françaises, cantonnées à Belgrade et dans la Hongrie du Sud, regardaient, l’arme au pied. Bêla Kun et ses amis ruiner toute la vie hongroise, encourager par leur apparent succès les espoirs du communisme en Europe et organiser à leur aise cette armée qu’ils allaient jeter sur les Tchèques et les Roumains. Quelques bataillons auraient suffi pour mettre à la raison ce régime exécré de toute la population ; mais l’ordre du Conseil suprême était formel : défense d’intervenir dans les affaires de Budapest. L’ordre était signé Clemenceau, et c’était des troupes françaises qui se trouvaient aux frontières de la Hongrie : aussi, les Magyars sont-ils enclins à faire retomber sur la France toute la responsabilité d’une inaction si funeste à leur pays, comme si nous avions été seuls à prendre des décisions au Conseil ! Américains, Italiens et Anglais ne se souciaient aucunement de voir nos troupes s’installer à Budapest, et notre pays s’imposer à toute l’Europe Centrale. En cette occasion, comme en bien d’autres, nous avons été forcés d’agir contre nos intérêts. Mais le grand prestige que la victoire venait de donner à la France, laissait croire trop aisément que dans le Conseil des Alliés elle parlait toujours en maître.

Autre grief. A Szeged, ville importante de la plaine, sur les bords de la Tisza, quelques politiciens magyars avaient formé un gouvernement contre-révolutionnaire, et constitué une petite armée, de six mille hommes environ, avec des soldats et surtout des officiers, accourus de toutes parts pour échapper aux bolchévistes. Avec beaucoup d’amertume, les Hongrois nous accusent d’avoir mal soutenu ce gouvernement et cette armée. Ils oublient tout à fait que, sans notre aide, ce mouvement militaire et politique n’aurait pas même existé. Ce sont des officiers français qui ont été chercher à Vienne, où ils s’étaient réfugiés, les comtes Betlen et Téléki, pour les mettre à la tête du gouvernement de Szeged. Peu de magnats, d’ailleurs, acceptèrent de les suivre, la plupart de ces Messieurs préférant demeurer à Vienne, au fameux hôtel Sacher, où ils mangeaient d’excellente cuisine et perdaient au jeu leur argent. C’est avec un sauf-conduit français, accompagnés par un officier français, que Betlen, Téléki et quelques autres, purent traverser sans encombre la Hongrie de Bela Kun. C’est à l’abri de nos troupes, sous les yeux