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ressemblent toutes. Les petites maisons basses, badigeonnées à la chaux, avec un long toit de roseaux qui descend en forme d’auvent, s’alignent par files régulières, perpendiculaires à la route, comme les tentes d’un camp avec ses travées profondes. Chaque file ne présente à la rue, pour ainsi dire, que l’épaule, tandis que les façades, les portes, les fenêtres donnent sur une longue cour, que dérobe aux yeux du passant une haute palissade en planches. Evident souvenir d’Asie, désir de protéger l’intimité de l’existence, goût du secret commun à toutes les demeures orientales. Au milieu du village, l’église surmontée de la croix si les gens sont catholiques, ou du coq gaulois si l’on est chez Calvin ; un peu à l’écart, le cimetière dont les tombes se dispersent en liberté, sans clôture, au milieu des acacias, avec le vieux souci de l’Orient d’offrir toujours aux morts ce bien délicieux entre tous : l’ombre des feuilles dans l’étendue embrasée ; puis de nouveau, à perte de vue, l’immense plaine doucement ondulée, avec ses moissons et ses herbages.

Çà et là, dans cette monotonie, une chose retient le regard : la haute perche d’un puits, qui semble un doigt levé pour dire à l’homme et au troupeau : « Approchez-vous, l’eau est ici ! » Elle n’a rien en soi de bien beau, cette sorte de potence, à laquelle pend d’un côté un seau, et qui supporte de l’autre une pierre pour faire contrepoids. Et pourtant, dès qu’on l’aperçoit, les yeux s’attachent sur elle avec une infinie complaisance. Elle vient de si loin, cette perche, avec sa pierre, son seau de bois et le petit carré de planches qui encadre le puits peu profond au-dessus duquel elle se penche ! C’est une de ces inventions qui sont nées avec l’homme et qui ne disparaîtront qu’avec lui. Autour d’elle se rassemble ce qu’il y a de plus primitif, de plus simple dans la vie rurale, et aussi de plus élevé dans la rêverie du Magyar. Toutes les voix confuses, éparses dans le vaste silence, semblent lui obéir et s’accorder sous sa loi. On dirait le bâton de quelque musicien rustique, qui conduit une mélodie agricole et pastorale, un chant limpide comme cette eau que le seau remonte à la lumière.

Ici habite un paysan, l’un des plus nobles du monde, dont les défauts sont aimables et les vertus mêmes plaisantes. Orgueilleux, dominateur et plein d’un dédain tranquille envers les peuples ses voisins, il tient pour assuré que Dieu parle hongrois au paradis. Hospitalier comme personne, jamais il ne demande