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demandèrent entre eux s’il ne serait pas charitable de tuer ces gens-là tout de suite au lieu de les faire crever de froid. À quoi Lazare objecta que Cserny serait mécontent s’ils semblaient revenir bredouilles. On se mit d’accord pour n’alléger la voiture que de deux voyageurs seulement. Qui choisir ? On pensa d’abord au Président de la Cour de cassation, mais Lazare en tenait pour les Hollan. À l’entrée du pont suspendu qui relie Bude et Pest, il fit arrêter la voiture, et mettant pied à terre, avec un agent secret et quatre gardes-rouges, il ordonna aux deux Hollan de sortir du camion, et renvoya l’auto à l’autre extrémité du pont. La petite troupe descendit sur la berge du Danube, alors tout encombrée de perches et de mâts, amenés là par bateaux pour servir à la décoration de la ville, car on approchait du 1er  mai. Cela rendait fort difficile de gagner le bord de l’eau. Lazare fit remonter son monde sur le pont, et à la hauteur du premier pilier, il commanda aux Hollan de se tourner face au Danube. Lui-même se plaça derrière le fils ; un garde-rouge derrière le père ; et à coups de revolver ils abattirent les Hollan. Deux des soldats prirent les cadavres par la tête et par les pieds, les balancèrent au-dessus du parapet et les précipitèrent dans le fleuve. Ensuite, fumant et riant, tous regagnèrent à l’autre bout du pont le camion qui les attendait.

Trois officiers de gendarmerie avaient été dénoncés par un de leurs subordonnés comme suspects de menées contre-révolutionnaires. Cserny les fit arrêter. Vainement, pendant plusieurs jours, il essaya d’en tirer des aveux. À bout de patience, le tribunal les condamna à mort ; et l’on demanda aux gardes-rouges de service dans la salle, lesquels d’entre eux voulaient se charger de cette exécution. Cinq s’offrirent aussitôt. Il était environ minuit. Après des outrages et des supplices sans nom, les trois gendarmes furent pendus au tuyau du calorifère qui traversait la cave. Cela fait, les exécuteurs invitèrent par le soupirail le chauffeur de leur camion qui stationnait dans la rue, à descendre voir le spectacle. L’homme descend. Ils lui disent, en lui montrant leur ouvrage : « Tu n’oserais pas faire ça, toi ? » Sur quoi, l’autre, sans répondre, grimpe à l’échelle et soufflette le pendu…

Mais c’est assez de ces histoires atroces, qu’on pourrait multiplier, s’il n’était superflu, après ces trois exemples, de montrer par d’autres faits où la bestialité des hommes, en temps de révolution, peut atteindre.