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introduire à Longwood son homme de confiance, voit s’écrouler son château de cartes. A partir du 13 octobre, l’Empereur, soupçonnant que le chirurgien communique avec Lowe, se refuse à répondre à aucune des questions d’O’Meara. Celui-ci ne peut donc rien donner ou à peu près rien au gouverneur, ce qui n’empêche point Baxter de rédiger, sans doute d’intuition, les bulletins optimistes destinés aux commissaires étrangers. C’est lui qui certifie authentiquement que le général Buonaparte est absolument guéri de « l’indisposition dont il a été affecté du 25 septembre au 30 octobre. »

C’est ici la première apparition officielle de la maladie. Quelle opinion peut-on s’en former, lorsque l’on est pris entre les renseignements pessimistes d’O’Meara, et les bulletins optimistes de Baxter, qui n’a, d’ailleurs, jamais examiné et sans doute jamais vu le malade. Il y a assurément une crise de maladie de foie, mais sans symptômes manifestes qu’on puisse inférer de phrases volontairement obscurcies, d’une brièveté sibylline. On est réduit aux conjectures sur cette première atteinte, à laquelle ni O’Meara, ni les compagnons de l’Empereur ne semblent attacher d’importance en dehors de la querelle des bulletins.

Depuis le 18 novembre, Lowe est fermement déterminé à renvoyer O’Meara qui se refuse à lui répéter toutes les conversations qu’il peut avoir avec Napoléon, ou avec ses compagnons de captivité. Il sent pourtant la gravité qu’il y aurait à priver l’Empereur de son médecin ; mais une nouvelle scène, le 18 décembre, contribue à lever ses scrupules. Dans un accès de colère, — peut-être simulé, — O’Meara lui déclare que, depuis deux ans, il a pris, vis-à-vis de l’Empereur, l’engagement de ne point rapporter au gouverneur les conversations qu’il pourrait avoir, hormis s’il y était question d’évasion. Or, depuis deux ans, il a rapporté infiniment de conversations qu’il aurait eues avec Napoléon et les compagnons de celui-ci. Il faut donc croire ou qu’il les a inventées, ou qu’il a manqué à sa parole vis-à-vis de l’Empereur, et à présent ne manque-t-il pas à son souverain, en refusant, sous prétexte de secret professionnel, de continuer ses rapports ?

O’Meara ne se serait-il point proposé de retourner en Europe, et d’y retourner en victime ? Pour le moins, depuis le mois d’octobre 1817, il reçoit de l’Empereur un traitement, et c’est lui qui fait passer en Angleterre à un de ses correspondants, qui en