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était au début, elle en compta bientôt sept cents, casernes pour la plupart au palais Batthyani, devenu « caserne de Lénine » d’où le nom de « Lenin-fiuk, » de gars de Lénine, qu’ils se donnaient. Vêtus de cuir des pieds à la tête, casquette de cuir, veste de cuir, culotte de cuir, guêtres de cuir, le fusil à l’épaule, un browning et un couteau à saigner les porcs à la ceinture, ils ajoutaient à cet attirail guerrier des grenades à main quand ils allaient en mission. De jour et de nuit, montés sur des autos-camions, ils parcouraient la ville, entraient dans les maisons, visitaient les appartements, arrêtaient les suspects dénoncés par les hommes de confiance, et emmenaient les otages désignés par le Service des Recherches politiques qui siégeait au Parlement. Le palais Batthyani étant bientôt devenu trop étroit pour les abriter tous, une partie alla s’installer au palais Hunyadi ; d’autres élurent pour domicile l’Ecole normale d’instituteurs. Des canons, des mitrailleuses et des autos blindées défendaient les abords de ces casernes, vraies forteresses du communisme hongrois.

Quant au Service des Recherches politiques, il avait à sa tête un ouvrier chrétien, Guzi ; mais le vrai chef en était un certain Otto Klein, qui avait changé son nom pour celui de Corvin, le plus illustre de Hongrie. D’où sortait-il, ce petit Juif, bossu et scrofuleux, qui, pendant l’interrogatoire de ses patients, s’amusait à leur enfoncer une règle dans la gorge ? De quels bas-fonds avait-il émergé à la lumière ? Personne, à Budapest, n’a jamais pu me renseigner sur ce point.

Dans les caves du Parlement où travaillaient, si l’on peut dire, ce Klein-Corvin et ses gens, comme au palais Batthyani et à l’Ecole d’instituteurs, on assommait, on pendait, on fouettait à coups de cravache et de cordes mouillées, on vous faisait sauter un œil avec la pointe d’un couteau, on vous taillait des poches dans le ventre, cependant qu’au dehors, devant le soupirail, afin d’étouffer les cris, un acolyte des bourreaux faisait ronfler un moteur d’automobile... Sur toutes ces atrocités, on m’a fait maint et maint récit, où il est fort difficile de discerner le vrai du faux, et ce que la haine et la peur ont encore ajouté d’imaginations folles à une réalité déjà suffisamment effroyable. Voici pourtant un petit lot de faits absolument authentiques, qui pourront donner une idée de l’atmosphère où l’on vécut, quatre mois, à Budapest.