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douleur qu’ils aient payé ce triomphe du sacrifice de leur vie. De là, trois conceptions du monument : la lutte, la victoire ou la mort, le soldat combattant, le soldat criant la victoire, le soldat expirant dans les bras des camarades ou de la France en deuil et enseveli dans sa gloire, ou bien, s’il s’agit d’une figure allégorique, la France militante, la France triomphante, la France affligée. Des trois conceptions, c’est la première qui a inspiré le moins d’œuvres et les moindres. La meilleure est le Poilu de M. Jean Boucher pour le Monument de Vitré : bien campé, appuyé sur son fusil, dans une attitude familière, pittoresque et vraiment statuaire, en un équilibre à la fois solide et contrasté, faisant jouer les ressorts de la machine humaine. Un autre, en pleine action celui-là, est le Poilu lançant la grenade, de M. Soubricas, maquette du monument aux morts, de Lambersart. Il est saisi au moment où il vise de la main gauche ouverte le point qu’il veut atteindre lorsqu’il aura fait sur lui-même le mouvement giratoire qui doit amener son bras droit au point où est son gauche et qu’il laissera échapper son engin. C’est non pas le même geste, mais un geste du même ordre que fait le Lutteur d’Agasias, ou Lutteur Borghèse, et l’on est surpris qu’il n’ait pas davantage tenté nos statuaires. Il est si beau, plastiquement parlant, et en même temps si caractéristique de la guerre de tranchées, qu’il suffirait à désigner le combattant de 1914-1918, fût-il représenté comme le lutteur antique. Aussi bien, c’est un légionnaire romain, avec le casque du poilu, et tenant le glaive antique que M. Champy montre empoignant par le cou un aigle qu’il va égorger, et qu’il a intitulé Justitia. Les autres ont fait des représentations exactes et quasi anecdotiques du Poilu, comme M. Sudre, dans son soldat puisant dans sa cartouchière ; M. Jacopin dans son soldat, l’arme au pied ; M. Richefeu, dans son bronze La Victoire en chantant... soldat qui marche au pas accéléré, l’arme à la bretelle ; M. Pourquet dans le Vainqueur, immobile, son fusil en travers, baissé, comme le chasseur qui a abattu son gibier ; M. Cogné dans le Retour, statue de pierre, montrant un poilu debout, les bras croisés, comme celui qui a fini sa tâche, entre l’enclume et des épis, symboles du travail qui l’attend, et dans la Leçon d’Histoire, monument pour le lycée Carnot, l’instituteur, soldat d’hier qui a conservé sa tenue, explique aux enfants ce que fut la guerre. On voit que le poilu ne sert pas seulement