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devenus des globe-trotters : on voit maintenant des choses du Japon, que seul autrefois Régamey nous montrait au retour de ses voyages : surtout on voit beaucoup de choses d’Afrique. Avenue d’Antin, il y a toute une salle, la salle 19, qui leur est consacrée : partout des trous bleu de ciel, dans des portes rouges, au milieu de murs jaunes, partout un fourmillement de chéchias, de tarbouchs ou de fez. Ce sont les vues de Tunis de M. Burnside, la Foule arabe de M. Defrancisco, les murailles de Marrakech et la prise de la légation allemande à Tanger, de M. John Lavery, — car le maréchal Lyautey a encore fait ce miracle que les peintres ont découvert, après Delacroix, le Maroc ! — sans parler des Scènes de la vie saharienne de M. Dinet, qui fut toujours et qui reste le maître des sables et des Agars dans le désert, en même temps que le technicien le plus versé dans la science des couleurs. Aux Artistes français, M. Dabadie nous montre aussi de saisissantes visions du Maroc : Fez, Meknès, Rabat, Marrakech.

Nos artistes ascensionnent aussi un peu, mais très peu. Les vues de la haute montagne sont très rares, leur juste interprétation plus rare encore. Au vrai, il n’y a de tout à fait puissantes que celles de M. Communal. Peintes au couteau, « truellées, » eût rugi avec enthousiasme le bon Théophile Gautier, elles expriment, comme on ne l’avait jamais fait avant lui, la joaillerie des glaciers, le poids formidable des roches, l’atmosphère fine, claire et raréfiée des sommets. Cette année, M. Communal aborde des effets de neige en Savoie, et ceux qui aiment les délicates et presque imperceptibles modulations de la lumière sur la nappe au soleil et des ombres dans ses plis, goûteront la saveur de ces froides et radieuses solitudes, où rien n’est blanc et où tout éblouit. Aux Artistes français, M. Charreton expose, de son côté, un effet de neige, qu’il intitule le Chemin dans l’ombre, où cette neige claire et colorée est justement rendue.

Plusieurs artistes, cette année, se sont souvenus, aussi, qu’il y a un paysage dans le ciel pour qui sait le voir, et qui suffit à nous intéresser, si on sait le rendre. Avenue d’Antin, M. Iwill a fait le portrait d’un nuage, monstrueux et tentaculaire, qui monte dans le ciel au-dessus de la tête du spectateur, offusquant le soleil, tandis que des filets d’eaux serpentent à travers les salles humides, et reflètent ce qu’ils peuvent de la lumière voilée : cela s’appelle les Grèves d’Ares, la Nuée et c’est très curieux.