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mais à ses défauts, et le bruit fait autour de lui ne tient nullement à ce qu’il rappelle son modèle, mais tout justement à ce qu’il ne le rappelle point. Il y ainsi des choses dont il faut qu’on parle parce que d’autres en ont parlé. Ce qui intéresse en elles, ce n’est pas ce qu’elles sont, mais l’idée que les gens s’en font et la somme considérable de banalités ou d’erreurs qu’elles déchaînent. Telle est l’effigie d’un vieillard assis sur le gazon, par M. Van Dongen, qu’on assure être le portrait de M. Anatole France. Une figure étirée en hauteur qui semble ruisseler sur la toile, l’œil atone, les épaules et les bras tombants, tout l’air d’une loque qui pend, accrochée à quelque chose dans le ciel : — voilà les espèces et apparences sous lesquelles se présente aux foules hilares l’immortel parrain de l’abbé Jérôme Coignard.

La donnée en elle-même ne serait point si absurde et tant qu’on ne la voit pas réalisée, elle se défend. Le dénuement, l’accablement, l’indifférence sont des attitudes intellectuelles. On se figure assez bien, de la sorte, le philosophe chinois Lao-Tseu assis sur son tertre devant sa cabane d’ermite, le jour où un buffle inconnu, tout harnaché, vint s’arrêter devant lui comme pour l’inviter à la promenade et l’ayant pris sur son dos, l’emporta au galop nul n’a jamais su où... La résignation du vieux philosophe revenu de tous les systèmes et se reposant au bord de la route dans l’attente et peut-être la juste méfiance du buffle inconnu, voilà ce qu’il eût été beau de faire pressentir. Le malheur est que cette peinture est dénuée de tout intérêt. Aucune trouvaille ni de couleur, ni de modelé, ni de facture ne vient compenser l’évident parti pris de déformation morphologique. C’est ce qu’éprouvent tout de suite les passants qui ne mettent pas des théories à la place de leurs sensations et ne prétendent pas voir quelque chose là où il n’y a rien. Une fois de plus, se vérifie cette observation, déjà bien vieille, que le portrait est la pierre de touche du peintre. Les spectateurs les plus conciliants, tant qu’il se borne à diffamer un arbre, à défigurer un nuage ou une montagne, se rebiffent quand c’est un visage humain qu’il maltraite. Là-dessus, le public ne s’en laisse pas conter : il est sûr de son fait, et il le dit.

« Mais c’est le sort de tous les beaux portraits de n’être pas compris par la foule ! » répondent les défenseurs de l’art nouveau. Car le Père Loriquet n’est pas mort. Seulement, il s’est