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ni brevet, ni lettre de service ? Comment serait-il accueilli par ses frères-officiers alors qu’il ne faisait plus partie de la hiérarchie et qu’il semblait être sorti du service pour être employé chez un particulier ? Il eût fallu qu’au moins il eût obtenu, d’un des chefs de l’armée navale, des garanties qu’il n’avait point reçues, et que rien ne lui garantissait.

Quant à la capacité professionnelle d’O’Meara, convient-il de la discuter ? A cette époque de guerre, on n’y regardait pas de très près, et, en France, comme en Angleterre, dès qu’un homme muni d’un vague diplôme se présentait pour traiter l’armée de terre ou de mer, il était inscrit aux registres et touchait la solde. Certes, O’Meara n’était point médecin et il ne s’était point donné comme tel. Il était là pour couper, recoudre et faire tout ce qui concernait cet état de chirurgien qui, en France et ailleurs, était un métier, non un art, s’apprenait par routine, et demeurait tout proche de son origine, le métier de barbier. Rien du médecin, déjà sorti de pair, qualifié, et placé sur un rang particulier.

Quel rôle O’Meara avait-il assumé durant la traversée, et durant les quelques mois où sir George Cockburn réunit les fonctions de gouverneur à son autorité d’amiral ? Durant la traversée il disparut devant W. Warden, le médecin du Northumberland qui entra dans l’intimité, non de Napoléon, mais de ses compagnons. Ce fut à lui qu’ils s’adressaient ; ce fut avec lui qu’ils établirent des conversations ; c’est à lui qu’ils firent des confidences, et ce fut lui qui, par les Letters written on board of H. M. S. The Northumberland and at Si Helena, apporta, le premier en Europe, un témoignage authentique sur la déportation de Napoléon.

Mais Warren n’entrait dans aucun débat au sujet de la santé, et l’on est en droit de penser qu’il ne fut jamais consulté. O’Meara restait dans l’ombre, et, si quelques avis lui furent alors demandés par Mme Bertrand ou Mme de Montholon, c’était sans portée et sans intérêt.

Dès l’arrivée à Sainte-Hélène, il s’efforça d’obtenir la protection de sir George Cockburn en lui fournissant sur l’Empereur, et moins sur sa santé que sur ses actes et ses habitudes, des renseignements dont le ton, et les mots mêmes étaient offensants pour Napoléon. Cockburn ne se laissa point faire ; c’était un homme qui apportait à l’exécution de ses instructions, en même temps qu’une observation stricte de la consigne et le sens des