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demie, se relevait à minuit pour dire matines et laudes. Il avait prévu, pour chaque heure du jour, des prières, des méditations, des lectures d’ouvrages de théologie ou d’ascétisme, et l’attrait était puissant qui l’eût confiné dans cette perpétuelle retraite. Mais le soin du ménage et le service de la charité troublaient souvent les prévisions. C’était, pour Frère Charles, une épreuve des plus sensibles. Il l’acceptait cependant. Il était celui qui fait au plus misérable prochain, au plus inconnu, au plus indigne, un accueil fraternel ; qui ne laisse point soupçonner qu’on le dérange, et consent à perdre avec le nomade peu sûr, l’esclave corrompu, le quémandeur et l’importun, le temps qu’il avait réservé pour causer avec Dieu. A chaque moment, quelqu’un se présentait à la porte, et l’ouvrait, et Frère Charles apparaissait, les yeux, ses très beaux yeux pleins de sérénité, la tête un peu penchée en avant, la main déjà tendue. Il portait une gandourah blanche, serrée par une ceinture, et sur laquelle était appliqué un cœur surmonté d’une croix, en étoffe rouge ; il avait des sandales aux pieds. Quant à la coiffure, elle était de son invention, et se composait d’un képi dont il avait enlevé la visière et que recouvrait une étoffe blanche, tombant en arrière sur les épaules, pour protéger la nuque. L’image de la Croix, celle du Sacré-Cœur, disaient de loin quelle était la foi de cet homme blanc. Nul n’en pouvait ignorer. C’est pourquoi, bien des années après ces jours de Béni Abbès, ayant lu, dans quelque poste du désert, un article où Charles de Foucauld était représenté comme un prêtre qui ne parlait jamais de ses croyances et ne prêchait la foi en aucune manière, le général Laperrine prit sa plume, et, d’une écriture d’homme irrité, écrivit sur un carnet : « Et ses conversations ! Et son costume ! » Il disait vrai : le costume était une prédication, et, d’ailleurs, toute la vie de Frère Charles affirmait l’Evangile. Les indigènes ne s’y trompèrent jamais.

Nous pouvons, à présent, suivre les événements qui marquèrent le séjour a Béni Abbès, et, pour le faire, nous n’aurons qu’à consulter le plus exact, le plus assidu des notateurs, le Père de Foucauld lui-même, qui, d’une écriture appliquée, sur un cahier qu’il appelait son « diaire, » écrivait les menus faits de la journée, quelques-unes de ses pensées, ses comptes et jusqu’aux noms de ses visiteurs.