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Charles se surveillait moins étroitement, si on lui demandait son avis sur une opération de police qui venait d’être faite, ou que l’on projetait. Si la nouvelle était venue, par exemple, de quelque randonnée de pillards enlevant des troupeaux et des femmes, assassinant et mutilant des hommes, on retrouvait aussitôt le chef ardent, le justicier qu’il avait été dans la poursuite des bandes de Bou-Amama. « Il faut les rejoindre, disait-il, et y aller rudement ! » L’instant d’après, ayant vu, dans la salle à manger, une souris attrapée par un chien : « Cette pauvre petite bête, quel dommage ! » murmurait-il. De bonne heure il se retirait : il allumait sa lanterne, et seul à travers l’ombre, regagnait l’ermitage.

Je ne serais pas historien fidèle, si je ne disais encore que Frère Charles, dès que la chapelle eut été construite, creusa lui-même, dans un coin du jardin, la fosse où il voulait être inhumé, et la bénit. C’était un souvenir de la Trappe. Il en usa de même, par la suite, dans les divers points du Sahara où il séjourna un peu de temps.

Tel était le cadre et l’appareil extérieur de cette vie sans précédent, ordonnée par une volonté puissante. Le reste était presque entièrement caché aux hommes. A peine auraient-ils pu, s’ils s’étaient appliqués à le faire, découvrir l’exact partage des heures entre les devoirs de charité, de travail manuel, de lecture, et les devoirs de prière : la règle que s’était imposée le Père de Foucauld. L’âme leur échappait. Toute âme est secrète pour les autres, plus ou moins. Le mystère est plus grand quand les âmes sont grandes, et qu’elles s’écartent de nos plaisirs, de nos occupations, de nos pensées habituelles qui ne sont guère que nous-mêmes, et qu’elles se donnent à Dieu, pour être mises, par lui, au service du pauvre monde. Nous ne voyons alors que ce qu’elles nous apportent, leur bonté, leurs œuvres fraternelles, le vague reflet d’elles-mêmes sur le visage qui vient vers nous et dans les yeux qui nous regardent. Mais par quel effort se maintiennent-elles hors de la vie commune, dans la constante présence de celui dont on perd le sourire et la paix pour une seule petite pensée ; quelles grâces elles ont eues, quels combats, quelles délices, quels rêves : cela, nous ne le savons pas.

Le règlement de cette vie, depuis le temps où nous sommes parvenus jusqu’à la fin, ne variera plus. Il était fort dur : Frère Charles se levait à quatre heures, se couchait à huit heures et