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les puissants de la terre, Frère Charles l’accompagnait. Il causait amicalement ; il parlait de Dieu et de la beauté de la nuit. Autour d’eux le silence absolu et l’espace désert ; au-dessus, un ciel immense où pas une étoile n’était voilée. Un air chaud se levait du sable. Et ils allaient, l’ancien officier et le soldat, sur la piste à peine visible, chacun remerciant Dieu d’une amitié inattendue dont il était le principe et la fin. Et cela durait quelques minutes. Puis Frère Charles se baissait, et tâtait, la terre avec la main, pour savoir s’il n’avait pas atteint la limite. Quand il avait touché les cailloux échelonnés, il disait : « Je ne puis vous reconduire plus loin, voici la clôture ; à bientôt. »

On devine si nos soldats, loin, bien loin de leur famille et du pays, étaient touchés d’une amitié comme celle-là ! Leur cœur de Français, sensible, rempli d’une politesse ancienne, qui résiste à bien des leçons contraires, leur faisait craindre d’abuser. Peut-on aller causer ainsi, presque en ami, avec un ancien officier, avec un moine qui a ses affaires, après tout, et, ils le sentaient bien, avec un homme de grande éducation, que la conversation d’un tirailleur ne devait pas toujours intéresser ? Ils s’excusaient de ne pas revenir ; il se privaient d’une bonne heure, pour ne pas la lui prendre. Alors, il leur écrivait des lettres comme celle-ci : « Cher ami, vous m’avez dit que vous êtes triste le soir, et que vos soirées sont lourdes... Voulez-vous, — si c’est permis de sortir du camp, ce que j’ignore, — venir passer habituellement les soirées avec moi : on les prolongera autant qu’il vous sera agréable, causant fraternellement de l’avenir, de vos enfants, de vos projets,... de ce que vous désirez, espérez, pour vous et ceux que vous aimez plus que vous... A défaut du reste, vous trouverez ici un cœur fraternel,

« Vous auriez voulu une petite histoire de Saint Paul... J’aurais voulu vous l’écrire, mais je ne puis, j’ai d’autres choses pressées à écrire en ce moment... Je pourrai vous la raconter, en entremêlant mes misérables paroles de passages de ses lettres., que j’ai et qui sont admirables...

« Le pauvre vous offre ce qu’il a... Ce qu’il vous offre surtout, c’est sa très tendre, très fraternelle affection, son profond dévouement dans le cœur de Jésus.


« FRÈRE CHARLES DE JÉSUS.