Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déserts sahariens, entre le désert de sable qui couvre tout le Sud crânais, et le désert de pierre, la Hamada, qui va jusqu’à la frontière du Maroc. Splendeur de la lumière, pauvreté du sol, pureté des nuits, silence des nuits, que de fois Frère Charles se servira de vous dans ses méditations, et dégagera le sens éternel caché dans le paysage le plus humble ou le plus magnifique !

Il chercha tout de suite la place où établir sa demeure et acheta, sur le plateau de la rive gauche, non sur la lisière, mais à 400 mètres environ en arrière, trois petits mamelons qu’il qualifia de montagnes, et deux dépressions également incultes qu’il appela vallées, et où poussaient plusieurs palmiers sauvages. Le prix, naturellement, fut excessif. Frère Charles paya 1 170 francs ces huit ou neuf hectares de désert. L’ensemble avait la forme d’une courge coudée. C’était le « terrain de culture » de la future « Fraternité. » Il y avait de l’eau, heureusement, ou du moins quelque possibilité de s’en procurer. Le domaine renfermait plusieurs sources et d’anciens puits. On creusa les puits, on dégagea les sources. Frère Charles, Imaginatif et l’esprit toujours en avance d’un jour, d’un mois ou d’un an sur le moment présent, ravi de cette nouvelle résidence, songeait déjà qu’il vivrait là dans une demi-clôture, que les fruits et les légumes du jardin seraient abondants, qu’il en pourrait donner, qu’on éviterait ainsi la famine des années de grande sécheresse, qu’il serait le nourricier, le consolateur, l’ami de plusieurs pauvres, particulièrement des soldats français et des esclaves.

Les premiers jours. Frère Charles logea dans les bâtiments du bureau arabe. Dès le matin, il partait, avec quelques tirailleurs de bonne volonté, mis à sa disposition pour construire l’ermitage. Ce ne fut jamais qu’un pauvre assemblage de cabanes en terre, sans caractère d’art, construites dans un ravin et fragiles tout à fait : si elles se défendaient à peu près du soleil, elles eussent fondu sous la pluie de deux jours. Heureusement il ne pleut guère qu’une fois par an dans la Saoura, et il arrive qu’il ne pleuve pas du tout. On employait, pour bâtir, des pierres glanées sur le plateau, mais surtout des briques de glaise séchée ; un peu de terre délayée était le mortier ; des planches poreuses de troncs de palmiers faisaient office de poutres ; les nervures des grandes feuilles et des roseaux servaient de couverture.

La chapelle, naturellement, eut un tour de faveur et fut