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trouvent plus quand ils sont contraints de parler français, ont une tendance, pour ainsi dire instinctive, à maintenir dans l’exercice de leurs fonctions, comme aussi dans l’enseignement scolaire, l’usage de la langue dont ils possèdent tous les secrets.

Prenons par exemple le jeune avocat qui plaide maintenant en français devant des juges venus de l’intérieur. Il ne dispose pas de tous ses moyens et se sent diminué, surtout quand il a comme adversaire un confrère parisien. Le professeur de lycée éprouve le même embarras, particulièrement quand, parmi les élèves qui l’écoutent, se trouvent des enfants de fonctionnaires d’autres provinces. Le vicaire, formé à la Faculté allemande de théologie, ne dispose pas, pour ses sermons et pour ses catéchismes, de la terminologie française, qui lui permettrait d’aborder sans hésitation les sujets les plus abstraits de la doctrine religieuse. Que, dans ces conditions, ils aient cherché et trouvé cent prétextes pour retarder l’introduction obligatoire du français, et dans le prétoire, et dans les études notariales, et dans les écoles, et dans les églises, rien n’était plus compréhensible et plus excusable.

Quand on leur parle, d’ailleurs très improprement, d’une génération sacrifiée aux nécessités de l’heure présente, ils protestent avec la dernière indignation. Sont-ils responsables d’une situation qu’ils n’avaient pas créée ? Et faut-il que tout le bénéfice d’une éducation, qui leur fut imposée, soit perdu ? Il y a, de toute évidence, une part de vérité dans ces récriminations. Encore est-il juste de faire remarquer que la gêne, que les intellectuels éprouvent à s’exprimer dans une langue pour eux nouvelle, n’est que passagère. La plupart d’entre eux ont déjà vaincu vaillamment les premières difficultés. A retarder indéfiniment l’effort, ils n’en auraient pas moins été contraints de le fournir tôt ou tard. Dans l’administration de la justice, les plaintes se font déjà plus rares. Elles ont presque disparu dans le personnel de l’enseignement secondaire. En revanche, elles s’affirment avec une violence croissante en matière d’enseignement primaire et elles s’y compliquent de rivalités inévitables entre le personnel alsacien et celui qui est venu de l’intérieur de la France.

La lutte s’est surtout engagée sur l’application, dans les écoles populaires, de la méthode directe. Celle-ci consiste dans l’emploi exclusif de la langue française. Le maître ne va