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REVUE SCIENTIFIQUE

LE COMPAS LUMINEUX

Dans beaucoup de romans, lorsqu’on veut représenter un personnage complètement désœuvré, matériellement et moralement, et dont le cerveau oisif ne roule, pour un moment, que des pensées amorphes, on le figure en train de faire des ronds dans l’eau. Faire des ronds dans l’eau est ainsi, littérairement, une des choses du monde les plus adéquates à cette sorte de léthargie de l’intelligence qui, à de certaines heures de « dolce farniente, » berce chacun de nous.

Il n’en devrait pas être ainsi, car, en vérité, il n’est guère de spectacle au monde plus suggestif, plus capable d’électriser une pensée endormie, plus riche d’enseignement, plus étonnant, plus merveilleux et plus évocateur, plus chargé d’idées et d’images que les ronds produits dans l’eau par la chute d’un caillou.

Ces ronds, ils s’épanouissent d’un mouvement lent et continu avec une vitesse uniforme, rides circulaires qui animent un moment le visage calme de l’eau, qui naissent et s’élargissent à partir d’un centre jusqu’au bord où elles viennent mourir et qui évoquent d’abord la destinée éphémère et pourtant éternelle de tout ce qui naît, grandit et s’éteint, de toutes les vies, corolles bientôt épanouies et puis si vite évanescentes.

Mais les ronds qu’on fait dans l’eau ne font pas naître seulement des pensées florales, philosophiques et pleines de mélancolie littéraire ; car, en ce cas, ils ne seraient guère de mon ressort. Ils évoquent aussi, et avec une précision et une exactitude surprenantes, toutes les vibrations ondulatoires qui emplissent le monde, et avant tout celles de la lumière joyeuse, subtil et merveilleux « agent de liaison » de nos cœurs au vaste univers.