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Vincent van Gogh en a-t-il rendu un plus grand à la jeune école indépendante, celle pour qui Gauguin et Cézanne sont dieux : après le divisionnisme et la décomposition du ton, qui avaient eu l’utilité de nettoyer la palette et d’en expulser des pratiques et des locutions vicieuses, ce maître incomplet, singulier, enseigna à reconstituer l’unité de la couleur et à refaire la synthèse de la ligne expressive et du ton exalté.

Il est trop tôt pour dire à quel rang l’avenir placera ce peintre étrange, ce défroqué, cet apôtre et ce missionnaire manqué, venu à la peinture par on ne sait quel hasard, ce raté de génie qui fut torturé toute sa vie par une entreprise au delà de ses forces. On trouvera dans son portrait anxieux et inquiétant l’image de son tourment. Quelle différence avec celui que Vermeer nous laisse de lui-même dans le tableau de la galerie Czernin ! En effet, van Gogh est mort fou. Quelques petites peintures de lui, un Canal, un Champ d’oliviers criblé par le jour d’ombres violettes, montrent dans cette nature sauvage des bribes, des lambeaux de sensations angéliques. Des vases de fleurs délirantes, sur fond jaune, comme des vitraux, le font voir dans l’ivresse de la couleur torride, en plein soufre. Mais de toute son œuvre, rien n’égale l’impression des lettres qu’on a publiées et que le malheureux écrivait au peintre Emile Ber- nard. On sent que ce détraqué n’avait qu’une passion au monde, celle des vieux maîtres de son pays. Comme il les aime ! Écoutez cette phrase sur le tableau de Paul Potter : « Un taureau désolé sous un ciel gros d’orage, navré dans l’immensité vert tendre d’une prairie humide. » « Au Louvre, dit-il encore, je vais toujours avec grand amour aux Hollandais, Rembrandt en tête, Rembrandt que j’ai tant étudié autrefois... Ah ! le rire édenté du vieux lion Rembrandt, la tête coiffée d’un linge, la palette à la main ! »

Sans doute, nul ne prétend réclamer pour ces dernières œuvres la même sympathie sans partage que nous inspirent les œuvres aimables et bienfaisantes de la vieille Hollande. Mais c’est déjà beaucoup pour ce petit coin du monde d’avoir montré que sa vitalité ne s’est pas ralentie et que d’avoir, à deux reprises, dans les cinquante dernières années, fourni deux idées très fécondes aux chercheurs de formules. Qui sait d’ailleurs si ces idées, quelle que soit l’apparence, ne sont pas plus proches qu’on ne croit de celles des vieux maîtres, et si l’on ne trouverait pas, entre les deux moitiés de cette exposition, quelque chose de commun qui les unisse et les relie ?

Depuis Rembrandt, qui le premier a fait de la lumière la condition