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justifier, — sa foi dans les idées et les sentiments qui sont à la base du spiritualisme et du théisme. Il a l’âme trop haute pour accepter et reprendre les puérils et grossiers sarcasmes que la figure de Jésus inspire à la plupart des « philosophes » de son temps. « Quelques hommes pourtant en ce siècle, — a écrit Renan, dans un opuscule de jeunesse qu’on nous a révélé récemment[1], — s’élevèrent à un point de vue plus élevé. J.-J. Rousseau comprit merveilleusement son type moral (le type moral de Jésus), et ne put le résoudre qu’en le proclamant Dieu. » On se rappelle le célèbre passage : « Je vous avoue aussi que la majesté des Écritures m’étonne, la sainteté de l’Évangile parle à mon cœur… Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu…[2] » Ce n’est pas là, comme l’a cru Renan, proclamer la divinité du Christ : Rousseau dit « d’un Dieu » et non « de Dieu. » Il joue sur les mots, involontairement peut-être : il se complaît dans une « fâcheuse équivoque ; » et tout ce qu’il concède, c’est que Jésus est le plus divin des enfants des hommes, un « surhomme, » comme a dit Faguet : rien de moins sans doute, mais rien de plus.

On peut certes critiquer ce langage. On peut trouver qu’il manque de netteté, et même, en un certain sens, de franchise. On ne peut pas le trouver irrespectueux. « Qu’est-ce qu’une religion sans dogmes et sans miracles ? écrit quelque part M. Ferdinand Buisson. C’est tout simplement la religion. » — Oui, à peu près comme la morale resterait la morale, si on en expulsait toute notion de moralité. On ne peut qualifier les déclarations de Rousseau de religieuses qu’à la condition de faire de « religieux » l’adjectif de religiosité, et non pas de religion.

  1. Ernest Renan, Essai psychologique sur Jésus-Christ, Revue de Paris, 15 septembre 1920.
  2. On notera que ce paragraphe figure bien dans le plus ancien manuscrit de la Profession, le manuscrit Favre « D’ailleurs, — avait écrit tout d’abord Jean-Jacques, — je vous avoue que la sainteté de l’Évangile est un argument qui parle à mon cœur et auquel je n’ai rien à répondre » ), mais qu’il n’en faisait pas primitivement partie ; il a été visiblement ajouté après coup : il est écrit en marge, et il est le développement d’une note curieuse, qui est déjà une formule à la Chateaubriand : « N. B. Parler de la beauté de l’Évangile. » — Quant à la phrase sur Jésus, elle ne figure pas dans le manuscrit Favre ; elle ne fait son apparition que dans un manuscrit postérieur, celui de la Chambre des députés, sous cette forme : « Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un philosophe, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu. » « Cf. P.-M. Masson, édition de la Profession de foi, p. 398-402).