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le dehors, la Profession de foi prend un sens tout nouveau : d’impersonnelle qu’elle était, elle nous apparaît désormais comme un manifeste très personnel dirigé contre des théories parfaitement définies.

Si laborieuses et si méritoires qu’elles soient, les recherches d’érudition n’ont pas en elles-mêmes leur raison d’être. Il ne suffit pas de réunir des matériaux, il faut en construire des édifices. Il faut laisser aux Allemands la douce manie de prendre des maçons pour des architectes. Maurice Masson était trop élégamment Français pour tomber dans ce ridicule. S’il cherchait à beaucoup savoir, c’était pour mieux comprendre, pour entrer plus profondément dans l’intimité des œuvres et des âmes. « Ce livre, écrivait-il, veut être surtout l’étude d’une âme religieuse. Ce qui m’a d’abord attiré, c’est la pensée de Jean-Jacques. Mais cette vie ne contient pas tout le secret de cette pensée. Plus qu’aucune autre, la pensée de Rousseau a besoin de chercher en dehors d’elle un supplément d’explication. Aussi, pour répondre entièrement à son objet, cette étude sur la religion de Rousseau a dû se prolonger par une étude sur la pensée religieuse des deux ou trois générations qui font escorte à Rousseau, ou qui, plutôt, vont à sa rencontre. » Un tableau, large et précis tout ensemble, de l’évolution religieuse du XVIIIe siècle français, encadrant l’évolution religieuse de Rousseau, voilà l’œuvre qu’avait entreprise Maurice Masson, et qu’il a su mener à bonne fin. Avec une méthode rigoureuse, appuyé sur une chronologie scrupuleusement établie, il nous fait assister année par année, et presque jour par jour, aux progrès, aux fluctuations, et, si l’on ose ainsi dire, aux palpitations de la vie spirituelle de son héros. Chemin faisant, il relève et reconstitue toutes les influences qui se sont exercées sur sa pensée, toutes celles du moins que l’on peut atteindre actuellement : influences des milieux que Jean-Jacques a successivement traversés, influences des hommes, — ou des femmes, — avec lesquels il s’est trouvé en relations, influences des lectures. Il nous le montre, tantôt acceptant docilement ces influences du dehors, tantôt réagissant avec plus ou moins de vigueur contre elles, jusqu’à ce qu’enfin, au sortir d’un long et loyal examen de conscience, l’auteur de l’Émile se décide à faire le bilan de ses convictions personnelles et à rédiger son credo. Accueilli avec transport par les uns, avec colère par les